Page:Revue des Deux Mondes - 1840 - tome 24.djvu/539

Cette page a été validée par deux contributeurs.
535
RAYMOND LULLE.

Raymond Lulle l’effet qu’en attendaient les musulmans, on le promena ignominieusement par toute la ville en l’accablant de coups, et on le bannit sous peine de la vie.

Raymond Lulle était, comme on sait, sous le poids d’une première condamnation de cette espèce à Tunis, ce qui ne l’empêcha pas d’y rentrer. À son premier voyage dans cette ville, il avait cinquante-trois ans ; cette fois, il en avait soixante-onze. On peut donc supposer que l’altération de ses traits l’aida à se soustraire à la vengeance des habitans. En tout cas, il ne fit que passer par cette ville pour aller s’établir à Bougie. Là, il prêcha publiquement l’Évangile, et employa toutes les ressources que lui offraient sa méthode et son éloquence pour combattre les croyances des mahométans. On rapporte que, parmi les docteurs musulmans avec lesquels il eut des conférences sur la religion, il se trouva un philosophe arabe nommé Homère, qui, se sentant confondu par la force des raisonnemens de Raymond Lulle, prit la résolution de faire jeter ce dangereux catéchiseur dans un cachot. On ajoute que Raymond Lulle y serait infailliblement mort sans l’assistance de marchands génois qui intercédèrent en sa faveur, et le firent placer dans une prison moins affreuse et moins malsaine, où il demeura encore plus de six mois.

Soumis dans ce lieu à un régime et à une solitude moins austères, il reçut la visite des savans du pays, attirés par son inépuisable faconde que favorisait la facilité avec laquelle il s’exprimait en arabe. Tous les docteurs de la loi de Mahomet, disposés envers lui comme il l’était à leur égard, c’est-à-dire à lui prouver la vérité de leur religion et à la lui faire confesser, ne négligèrent aucun des moyens qui pouvaient leur faire obtenir cette importante victoire sur le vieillard chrétien. Raisonnemens, prières, menaces, espérances flatteuses, tout fut mis en usage pour convaincre, intimider ou séduire Raymond Lulle ; mais le docteur illuminé resta ferme et inébranlable dans sa foi.

Il paraîtrait que les docteurs musulmans n’étaient pas plus ennemis de la controverse et de la dialectique que les théologiens d’Europe, car, les raisons en faveur des deux croyances s’étant multipliées au point que l’ordre scholastique ne pouvait plus régner dans les discussions, les disciples de Mahomet et le docteur chrétien convinrent entre eux que chaque partie développerait méthodiquement ses argumens par écrit. Alors l’infatigable Raymond Lulle, à qui un volume de théologie ne coûtait pas plus qu’un voyage d’Europe en Afrique, se mit à composer un livre. Son ouvrage était presque entièrement terminé, lorsque le souverain du pays, craignant les effets d’une