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RAYMOND LULLE.

font regarder aujourd’hui comme l’un des fondateurs de la chimie, ne furent pas ce qui lui donna tant de célébrité de son temps. Arnaud de Villeneuve avait, ainsi que tous ses contemporains artistes, le secret de faire de l’or ; on en tirait la conséquence qu’il pouvait guérir tous les maux, prolonger la jeunesse et même la vie. C’est là l’objet de ses livres, et ce qui les rendait si précieux. Malheureusement le style obscur et énigmatique, employé volontairement par les chimistes du XIIIe siècle, n’est plus intelligible pour personne, en sorte que leurs immenses travaux, dans lesquels il est difficile de croire qu’il ne se trouve rien de précieux, sont devenus inutiles à la science.

Arnaud de Villeneuve était occupé de ses combinaisons scientifiques à Naples au mois de juin 1293, lorsque Raymond Lulle arriva dans cette ville pour professer ses doctrines philosophiques et y expliquer son grand art et son arbre des sciences. Les relations que les deux savans avaient eues déjà en France, se renouvelèrent aussitôt et ne tardèrent même pas à se changer en une amitié fondée particulièrement, sans doute, sur leur goût commun pour la science, car, entre deux hommes dont les sentimens religieux étaient si contraires, on ne voit pas quel autre lien aurait pu les unir. Mais la science, prise en elle-même, était devenue, au XIIIe siècle, une chose sainte, par cela seul qu’on l’estimait indispensable pour perfectionner et affermir la théologie ; aussi voit-on que, pendant toute l’époque de la renaissance, les païens de l’antiquité, les Arabes musulmans et les incrédules, tels qu’Arnaud de Villeneuve, devenaient des autorités infaillibles, du moment que l’on croyait être certain de tirer d’eux quelques connaissances positives.

Le peu de détails que l’on ait sur les relations scientifiques qui s’établirent entre ces deux hommes, se trouvent épars dans les écrits de Raymond Lulle. Il dit, par exemple, dans celui de ses livres intitulé : mon Codicille : « Je crus témérairement qu’il me serait possible de pénétrer cette science (la chimie.), sans le secours de personne, jusqu’au jour où Arnaud de Villeneuve, mon maître, me la fit connaître en me prodiguant tous les trésors de son esprit. » Dans le livre des Expériences, on trouve encore ce passage : « Je n’ai pu fixer ces huiles, jusqu’à ce que mon ami Villeneuve m’eût enseigné à faire cette expérience. » Mais le document de ce genre le plus curieux est la treizième expérience du livre intitulé : Experimenta. On lit en tête du chapitre : Expérience treizième d’Arnaud de Villeneuve qu’il me fit connaître à Naples, et le chapitre contient toutes les opérations