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RAYMOND LULLE.

Le coup glissa au lieu de pénétrer, et quoique couvert de sang, Raymond Lulle eut le courage et la force d’arracher l’arme des mains de son meurtrier ; mais loin de le frapper à son tour, comme il eût pu le faire, il intercéda en sa faveur, lorsque quelques personnes voisines, attirées par le bruit, s’apprêtaient à lui donner la mort. La fin de cette anecdote est curieuse, en ce qu’elle donne une idée du courage et de l’opiniâtreté avec lesquels les mahométans, comme les chrétiens, restaient attachés à leur foi. Malgré les prières de Raymond Lulle, qui ne voulait pas que l’on punît l’Arabe, le meurtrier fut mis en prison, où il s’étrangla de dépit de n’avoir pu ôter la vie à un homme qui travaillait à la ruine de la religion de Mahomet.

La fondation d’écoles dans les monastères pour l’étude des langues orientales, et où l’on pût former des hommes destinés à aller prêcher l’Évangile dans tous les pays infidèles, fut un des projets que Raymond Lulle poursuivit avec le plus d’ardeur pendant sa vie apostolique. Ce fut dans l’espoir de faire adopter ses vues au pape qu’il se rendit à Rome en 1286 ; mais, comme il arrivait dans la capitale du monde chrétien, il fut obligé de renoncer momentanément à son projet. Le pape Honorius IV, homme pieux et lettré, sur lequel il avait fondé toutes ses espérances, venait de mourir, et tout faisait présager que l’interrègne serait long. Loin de se décourager et de perdre son temps à Rome en attendant la nomination d’un nouveau pontife, Raymond Lulle, sur une invitation qui lui est faite par le chancelier de l’Université de Paris, retourne dans cette ville, et y professe dans un collége son grand art, ars magna, première forme qu’il donna à la méthode nouvelle qu’il venait d’inventer pour coordonner, affermir et faciliter les diverses opérations de l’intelligence, et fournir à tous les hommes le moyen de penser et de discourir sur tous les sujets donnés.

Le succès de ses leçons à Paris eut du retentissement dans toute l’Europe, et bientôt Raymond se rendit à Montpellier, où il savait que le roi d’Aragon et de Maïorque devait se trouver. Encouragé par la présence de son souverain, et impatient de faire connaître sa nouvelle méthode dans une ville qui était déjà l’un des foyers intellectuels les plus actifs de la France, Raymond professa publiquement Son art inventif qui n’est rien autre chose que le grand art sous une autre forme.

De Montpellier, il alla à Gênes, où, tout en répandant ses nouvelles doctrines, il acheva une traduction de son art inventif en langue arabe, afin de se tenir prêt à répandre sa méthode au milieu des infi-