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Randa que Raymond forma le projet de travailler activement à la conversion des infidèles, et surtout des sectateurs de Mahomet ; c’est alors qu’il commença à se livrer aux études grammaticales et scientifiques qu’il regardait comme indispensables à l’accomplissement de son vaste et hardi projet. Il s’appliqua donc à la connaissance des langues anciennes ; mais il poursuivit avec une ardeur toute particulière celle des Arabes, qu’il voulait savoir écrire et parler, de manière à pouvoir attaquer avec toute la puissance du raisonnement et de la parole les doctrines religieuses des musulmans. En lisant les livres des Arabes, les seuls où l’on puisât alors la plupart des connaissances scientifiques sur tous les sujets, Raymond Lulle se familiarisa avec leur idiome, et acquit une érudition immense qui prépara son esprit à s’occuper de toutes les matières, et le disposa à embrasser l’ensemble des connaissances que l’homme peut acquérir.

Après neuf ans de retraite et d’études, Raymond Lulle, sentant sa foi religieuse et ses connaissances scientifiques solidement affermies, crut qu’il était temps de se rendre agréable à Dieu et utile au monde en cherchant à mettre en pratique tout ce qu’il avait appris, tout ce qu’il avait conçu. Son idée dominante, comme celle de tous les hommes distingués de cette époque, était de convertir les infidèles, de réfuter et de détruire les principes de l’Alcoran, et de répandre la foi chrétienne en opposant les vérités théologiques, soutenues par la démonstration scientifique, aux erreurs des enfans de Mahomet. Il est vraisemblable que, pendant les neuf années qu’il passa sur la montagne de Randa, il s’était déjà livré à la composition de plusieurs ouvrages importans, puisqu’après avoir fait un court séjour à Montpellier, il vint, à l’âge de trente-neuf ans, à Paris, où il publia différens traités de philosophie, de médecine, d’astronomie et d’autres sciences.

Il était donc entré dans la carrière qu’il désirait si ardemment de parcourir, et où il devait donner tant de preuves de persévérance et de courage. Avant même d’avoir touché à la terre d’Afrique, il se vit exposé à la vengeance d’un Maure. Pour se familiariser avec la langue arabe, Raymond Lulle, depuis sa sortie de Randa, avait pris à son service un Africain, qui ne connaissait que la langue de son pays. En servant son maître, cet homme ne tarda pas à s’apercevoir que toutes ses pensées, toutes ses études, ainsi que ses constans désirs, tendaient à détruire la loi de Mahomet par la prédication. Poussé par un zèle religieux non moins vif que celui qui animait son maître, l’Africain porta à Raymond Lulle un coup de poignard dans la poitrine.