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RAYMOND LULLE.

Ce qui arriva à Christophe Colomb, de se croire au Japon quand il n’était qu’à la Havane, est l’histoire de bon nombre d’hommes qui s’aventurent dans des entreprises gigantesques. Leur mérite, leur gloire est rarement d’atteindre le but précis qu’ils s’étaient proposé, mais seulement d’avoir fait en route une découverte importante à laquelle ils n’avaient nullement songé. Raymond Lulle en offre une preuve frappante. Pendant soixante ans, cet homme a étudié toutes les sciences ; il a exposé continuellement sa vie pour détruire la religion de Mahomet et gagner la palme du martyre, et cependant il n’est connu de nos jours que comme un des plus grands chimistes du XIIIe siècle.

Personne n’ignore aujourd’hui que les recherches souvent extravagantes des hommes qui, depuis un temps immémorial, se sont appliqués à la science hermétique, à la transmutation des métaux, en un mot à faire de l’or, ont préparé effectivement les voies aux savans qui, plus tard, fondèrent la chimie, cette science destinée à servir de point de départ, de centre et de lien à toutes les autres. Mais on se fait en général une idée fausse de ces chimistes, de ces artistes, comme ils s’intitulaient au moyen-âge. Les savans eux-mêmes les connaissent à peine aujourd’hui, et quand Roger Bacon, Albert-le-Grand, Arnaud de Villeneuve ou Raymond Lulle figurent par hasard dans les traditions populaires ou dans les prédictions d’al-