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LE BHÂGAVATA PURÂNA.

car il a prononcé des paroles irrespectueuses contre l’autorité des Vedas, incréés, éternels ; et quand le frère aîné est dégradé, il n’y a de péché à ce que le frère puîné se marie (ou règne). Alors Santana retourna dans sa capitale, et son frère aîné Devapi fut dégradé de sa caste pour avoir répété des doctrines contraires aux Vedas. Nidra (le dieu du ciel) répandit une pluie abondante qui fut suivie de riches moissons. »

Rien ne saurait mieux que ce récit donner une juste idée de la société indienne. On y voit les brahmanes arbitres souverains de la conscience, et, par là, de l’autorité royale. À leur voix, Santana va poser la couronne ; mais le prince légitime est atteint d’hérésie : dès ce moment, il est déchu du trône, comme il est dégradé de sa caste, et le ciel, de concert avec les brahmanes, rend hommage au droit de Santana, fondé sur son orthodoxie. Le gouvernement théocratique n’a jamais été pratiqué avec cette rigueur dans notre Occident.

Les sentimens de la nature doivent se taire devant l’ascendant suprême de la caste sacrée. Une mère pardonne au brahmane qui a tué ses enfans pendant leur sommeil, parce qu’un brahmane a toujours un maître spirituel. Le coupable qui est consumé par la malédiction d’un brahmane, est-il dit aussi dans le Bhâgavata[1], ne trouve de pitié ni dans l’enfer, ni parmi les êtres, quels qu’ils soient, au milieu desquels il vient à renaître.

On trouve dans le même Pourana l’histoire suivante qui fait bien voir la puissance de cette malédiction. Un brahmane était assis dans son ermitage, retenant sa respiration, les yeux fermés, dans l’état d’extase (yoga). Le roi Parikchit, qui s’est égaré, arrive à l’ermitage. Le brahmane, absorbé dans sa contemplation, n’offre au roi ni le siége de gazon, ni l’offrande de l’eau, ni les paroles bienveillantes. Le roi, irrité, voyant auprès du brahmane un serpent mort, le prend, de colère, avec l’extrémité de son arc, et le lui jette sur l’épaule, puis regagne sa capitale. L’injure était grave. Cependant le brahmane, qui s’était élevé à l’indifférence, ne l’aurait point ressentie ; mais son fils, jeune enfant qui jouait avec d’autres enfans, ayant appris l’outrage fait à son père, s’emporte en ces termes contre le roi et contre la caste guerrière des Kchattriyas à laquelle il appartient :

« Ah ! la conduite outrageuse de ces radjas nourris, comme les cor-

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