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ce néant agité qu’on appelle le monde. L’existence humaine est un supplice imposé à l’esprit tombé dans le monde inférieur à cause de ses fautes. De là cette énergique peinture des misères de la condition humaine que nous offre le Bhâgavata Purâṇa. Après nous avoir fait entendre les gémissemens de l’ame dans l’embryon, l’auteur montre la misère de la créature condamnée à vivre, tombant à terre au milieu du sang où elle s’agite comme un ver, dépouillée de la mémoire, dépouillée de la connaissance, ne pouvant se faire comprendre. Au point de vue indien des existences successives, l’homme naissant est bien plus réellement que chez le poète latin un passager rejeté par les flots :

Sævis projectus ab undis
Navita.(Lucrèce)

Le tableau de notre condition que Pline a tracé n’égale pas en mélancolie quelques vers du Bhâgavata Purâṇa[1], parce que ce n’est pas un vague scepticisme, mais une triste croyance, qui inspire le poète. Pour lui, la vie est une chute, une peine, une dégradation.

Comment l’homme se dérobera-t-il à tant de misère ? comment échappera-t-il à son humiliante et douloureuse condition ? En résistant à ses désirs, en s’élevant au-dessus des sens, en se livrant à la contemplation et en fuyant les œuvres, car les œuvres nous plongent dans le monde de l’illusion et nous écartent du principe invisible. Telle est la base du quiétisme indien, dont l’expression se retrouve sans cesse dans les Pouranas, et dont il est dit : « La contemplation de Vichnou[2] est comme un glaive avec lequel les hommes sages tranchent le lien de l’action qui enchaîne la conscience. »

La contemplation est un état particulier qui a ses règles. Les Hindous appellent yoga l’extase par laquelle ils prétendent s’élever au-dessus de l’action, de la science, de la vie, s’unir à la Divinité même en s’absorbant dans son sein. Il existe une méthode et des procédés techniques, dont quelques-uns sont assez ridicules, pour parvenir à cette extase contemplative, à cet état d’impassibilité suprême, au moyen duquel les ascètes arrivent à se perdre en Dieu :

« Que l’ascète qui veut abandonner ce monde[3], assis sur un siége solide et commode, ne s’occupe ni du temps ni du lieu, et que, maître de sa respiration, il contienne son souffle en son cœur.

  1. Bhâgavata Purâṇa, pag. 575.
  2. Vishnu-Purana, pag. 15.
  3. Bhâgavata Purâṇa, pag. 209.