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LE BHÂGAVATA PURÂNA.

sur un lit, blanc comme les fibres de la tige du lotus, formé par le corps du serpent Sécha, porté sur l’Océan qui submerge l’univers à la fin de chaque période de la vie des êtres, et dont l’obscurité était dissipée par les feux des joyaux placés sur les têtes du serpent qu’ornaient les ombrelles de ses crêtes.

« Il effaçait la splendeur d’une montagne d’émeraude à la ceinture de chaux rouge et aux nombreux pics d’or, ayant pour guirlande des joyaux, des lacs, des végétaux, des parterres de fleurs, pour bras des bambous, et pour pieds des arbres.

« Entourés des plus beaux joyaux et des plus riches bracelets, ses bras étaient comme des milliers de rameaux, sa racine était le principe invisible, les mondes formaient l’arbre vigoureux dont les branches étaient environnées des crêtes du roi des serpens. »

Voilà la cause insondable de toutes choses, l’être sans forme et sans attribut personnifié dans une figure mythologique bizarre et grandiose, voilà toutes les richesses de la poésie indienne jetées comme un voile éblouissant de broderies sur la conception abstraite de la substance absolue. Au milieu de ces images colossales et accumulées, le sentiment métaphysique se trahit par cette phrase : Sa racine était le principe invisible.

Les mêmes associations de l’idée philosophique et de l’imagination poétique poussées toutes deux à l’extrême, se retrouvent dans le récit de la lutte que l’être des êtres, transformé en un guerrier terrible, soutient contre un géant, en présence de tous les dieux, de tous les génies, de toutes les créatures, qui suivent avec anxiété les chances du combat qui doit détruire ou sauver le monde[1]. Les diverses phases du combat et les injures qui le précèdent, rappellent, dans des proportions surhumaines, les combats homériques ; mais celui qui frappe le géant, c’est le créateur de toutes choses. Pendant la lutte, il dépose la terre à la surface de l’Océan ; il est plein de dieux engendrés dans son sein. Ces exemples, qu’on pourrait multiplier sans peine, suffisent à montrer comment la poésie et l’abstraction se mêlent dans les Pouranas. Passons aux idées qu’ils renferment sur la vie humaine, sur son but véritable, enfin sur la morale et sur la société indienne.

Au point de vue du Bhâgavata Purâṇa, la vie est une illusion douloureuse et comme un songe pénible. Vivre, penser, agir, c’est être séparé du principe unique et absolu, c’est se trouver en rapport avec

  1. Bhâgavata Purâṇa, pag. 449.