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LE BRIGANDAGE DANS LES ÉTATS ROMAINS.

femme qui l’accompagnait, avait une chaîne d’or au cou et plusieurs bagues aux doigts. Des paysans qui passaient virent cette argenterie et ces bijoux ; l’occasion leur parut favorable ; armés d’un mauvais fusil et de haches, ils s’embusquèrent à quelques centaines de pas des temples, sur la route, et arrêtèrent la voiture de M. Hunt au retour. M. Hunt n’essaya pas de résister, comme on l’en a accusé à tort ; il prit même la chose gaiement, donna son argenterie aux brigands, et se mit à leur jeter à la tête, en riant, des oranges dont une des poches de sa voiture était pleine. Ceux-ci, que des projectiles de ce genre n’effrayaient guère, montèrent familièrement sur le marchepied de la voiture, et l’un d’eux porta brutalement la main au cou de Mme Hunt, pour détacher la chaîne d’or qu’elle portait. M. Hunt, indigné de la grossièreté du bandit, l’apostropha avec chaleur en fouillant vivement dans une de ses poches. Le misérable s’imagina que l’Anglais cherchait une arme, et sauta à terre en le mettant en joue ; c’est alors que le coup partit, involontairement, à ce que le brigand a assuré jusque sur l’échafaud ; la balle toutefois traversa la poitrine de M. Hunt, et atteignit sa femme à la tête. M. Hunt mourut le jour même, et sa femme le lendemain.

En racontant avec emphase divers accidens du même genre, les pauvres Romains se livrent à de comiques réflexions sur les dangers que font courir aux voyageurs ces brigands sans expérience et par occasion ; ils en viennent presque à regretter le temps où les Barbone, les Fra Diavolo et les Gasparone occupaient les routes de Rome et de Naples. On prenait ses précautions, disent-ils, et, comme ces chefs n’auraient pas souffert la concurrence des premiers venus, les attaques étaient peut-être plus rares. À la tournure que prennent les choses, nous craignons fort que ces regrets ne soient pas de longue durée. Si le gouvernement romain n’adopte pas en effet quelques mesures vigoureuses, et que la guerre vienne à éclater, de nouvelles bandes ne tarderont pas à se reformer. Les mœurs, en effet, sont les mêmes que par le passé ; le gouvernement a contenu ou réprimé les mauvais instincts du peuple : il n’a rien fait pour les corriger. Les élémens du brigandage existent comme de tout temps ; ils sont, il est vrai, dispersés, mais ils tendent à se réunir. C’est un vice de constitution héréditaire, un mal honteux dont une cure violente a passagèrement suspendu les accès, mais dont elle n’a pas détruit la cause. Que le médecin ait un jour de négligence, que le malade se livre à son naturel dépravé, et le mal reparaîtra aussitôt avec les mêmes symptômes et la même férocité qu’autrefois.


Frédéric Mercey.