Page:Revue des Deux Mondes - 1840 - tome 24.djvu/506

Cette page a été validée par deux contributeurs.
502
REVUE DES DEUX MONDES.

se prosternent aux pieds de Vichnou, et implorent sa protection contre leurs ennemis. Tel est le rôle supérieur que joue Vichnou dans le Pourana qui porte son nom. Mais le vichnouisme qui domine dans ce Pourana, n’en exclut pas absolument l’ascendant de Siva ; cet ascendant s’y manifeste avec une grande puissance dans un passage où l’on voit Indra, le roi du ciel, et les trois mondes auxquels il préside, frappés de langueur, parce qu’un personnage nommé Durvâta, qui est une incarnation de Siva, a maudit Indra. C’est une espèce d’interdit jeté sur l’univers par l’anathème du dieu destructeur[1].

Le Bhâgavata Purâṇa, publié par M. Burnouf, n’est pas marqué d’un caractère de vichnouisme moins évident que celui qui éclate dans le Vichnou-Purâna. Presque à chaque pas, l’auteur se répand en transports d’adoration pour Vichnou, le dieu, l’être par excellence, ou plutôt le seul dieu, le seul être, celui qui est en tout, bien que distinct de tout, et hors duquel il n’y a qu’apparence et illusion. Il faut l’implorer pour parvenir à être réuni à lui, se reposer sur le lotus de ses pieds divins, et s’affranchir par cette ineffable union du supplice mille fois renouvelé de l’existence. S’occuper de Vichnou est le seul but raisonnable de la vie. C’est ce qu’expriment avec une énergie bizarre les distiques suivans :

« Ne vivent-ils pas aussi les arbres ? Ne respirent-ils pas aussi les soufflets ? Ne mangent-ils pas, ne se reproduisent-ils pas aussi les autres animaux du village ?

« C’est une brute comparable au chien, au chameau, à l’âne et au pourceau qui vit dans la fange, que l’homme dont les oreilles n’ont jamais été frappées par l’histoire du frère aîné de Gadal[2]

« C’est un cadavre vivant que l’homme qui ne recueille pas la poussière des pieds des sages dévoués à Bhâgavata[3] ; c’est un cadavre respirant que celui qui ne connaît pas le parfum de la plante tulasi, qui s’attache aux pieds du divin Vichnou. »

Ici, comme dans le Vichnou-Purâna, Brahma lui-même proclame Vichnou l’essence pure, absolue, bienheureuse, dont l’univers n’est qu’une manifestation décevante. Par cet hommage, l’auteur prosterne les sectateurs de Brahma devant la secte à laquelle lui-même appartient. Ailleurs[4] Brahma est nommé la cause des causes ; mais

  1. Wilson, Vishnu-Purana, liv. I, cap. viii
  2. Nom de Vichnou.
  3. Autre nom de Vichnou.
  4. Bhâgavata Purâṇa, pag. 383, v. 41.