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guerriers ; mais il se pourrait que la suite des temps eût changé le caractère de ces compositions. Il y aurait eu des Pouranas vraiment anciens, comme leur nom l’indique (Pourana veut dire antiquité) ; même dans leur état actuel, ils contiennent des légendes auxquelles il est fait allusion dans les Vedas. Les Pouranas sont nommés dans un de ces livres sacrés, dans le Rig-Veda ; ils le sont plusieurs fois dans les commentaires des Vedas appelés Oupanichads. Ces faits portent M. Burnouf à penser que l’existence des Pouranas, dans leur état primitif, est aussi ancienne que la littérature sanscrite, bien que dans leur état actuel ils soient une de ses plus récentes productions.

En outre, ces ouvrages si modernes se rattachent encore à l’antiquité par des emprunts faits aux Vedas et aux Oupanichads. M. Burnouf en cite deux très remarquables : le premier est la peinture de Pouroucha, l’homme-monde, ou plutôt l’homme-dieu-monde, car il est dit de lui : « La totalité des créatures n’est que la quatrième partie de son être ; les trois autres sont immortelles dans le ciel. » Pouroucha est comme un corps idéal de l’univers et de la divinité personnifiés dans l’homme primitif, dont l’immolation produit la création universelle. Cette conception étrange se retrouve à la fois dans un des Vedas, et dans le Bhâgavata Purâṇa publié par M. Burnouf, exprimée dans des termes fort semblables[1]. Mais ici se rencontre un luxe de développemens métaphysiques et d’extravagances subtiles entièrement étranger aux Vedas[2]. Il en est de même de l’apologue métaphysique des sens et de la vie. « Les sens disputaient entre eux en disant : C’est moi qui suis le premier, c’est moi qui suis le premier ! Ils se dirent : Allons ! sortons de ce corps ; celui qui en sortant fera tomber le corps, sera le premier. La parole sortit ; l’homme ne parlait plus, mais il mangeait et buvait, il vivait toujours. La vue sortit ; l’homme ne voyait plus, mais il mangeait, il buvait et vivait toujours ; l’ouïe sortit, l’homme n’entendait plus, mais il mangeait, il buvait et vivait toujours. Le manas sortit ; l’intelligence sommeillait dans l’homme, mais il mangeait, il buvait et dormait toujours. Le souffle de vie sortit ; à peine fut-il dehors, que le corps tomba, le corps fut dissous, il fut anéanti. Les sens disputaient encore en disant : C’est moi, c’est moi qui suis le premier ! Ils se dirent : Allons, rentrons dans le corps qui est à nous ; celui d’entre nous qui en y rentrant mettra debout le corps, sera le premier. La parole rentra,

  1. Préf., pag. cxxi ; liv. II, cap. v, pag. 235.
  2. Bhâgavata Purâṇa, pag. 535.