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DE L’ÉQUILIBRE EUROPÉEN.

deur d’une telle mission, et sans hâter par nos impatiences le cours des évènemens, sachons d’avance ce que nous aurons à leur demander.

Ce rôle de réparation et d’équité politique, la force des choses a commencé à le tracer pour la France bien avant qu’elle s’en rendît compte. À la fin du dernier siècle, elle appelait à la vie ce peuple géant dont la marine forme aujourd’hui, avec la nôtre, le plus ferme boulevart de la liberté des mers, et notre siècle n’avait guère vu s’écouler plus d’un quart de son cours qu’elle avait déjà pris, dans la conférence européenne, l’initiative du système auquel la Grèce et la Belgique ont dû tour à tour la consécration solennelle de leur indépendance. Le traité du 6 juillet 1827, celui du 15 novembre 1831, sont des inspirations dont un peuple arrivé à la maturité de l’intelligence politique peut être aussi justement fier que de ses plus éclatans triomphes. La France a versé sans doute des larmes de sang sur le sort du peuple héroïque qui succombait loin d’elle en invoquant son nom, et peut-être en l’accusant d’ingratitude ; mais elle ne désespère pour la Pologne ni de la justice de Dieu ni de celle des hommes. Elle sait tout ce que garde de péripéties imprévues l’immense drame qui commence en Orient, épreuve difficile pour laquelle les peuples semblent avoir recueilli leurs pensées et leurs forces pendant vingt-cinq ans de paix, redoutable problème dont la solution définitive n’intéresse pas moins l’avenir de Varsovie que celui de Constantinople. Si les destinées de l’empire ottoman devaient irrévocablement s’accomplir ; si les efforts de la France pour maintenir à la question d’Orient son caractère exclusivement oriental, en écartant de ce terrain les ambitions européennes qui aspirent à l’occuper, si ces efforts loyaux autant que désintéressés sont trompés par les évènemens, et qu’il faille un jour s’incliner devant l’irrésistible nécessité d’un partage, il est évident que la Russie, maîtresse du Bosphore, n’aurait qu’un seul gage à offrir à l’Europe alarmée, et que la renaissance de la Pologne pourrait sortir du grand cataclysme où l’islamisme serait condamné à s’abîmer. Dans une telle éventualité, le rôle de la France serait marqué à l’avance, et ses efforts seraient aussi énergiques que son intervention y serait souveraine. Nous avons deux politiques à mettre au service d’un même principe dans la crise orientale, l’une pour le cas où la destruction de l’empire ottoman deviendrait une nécessité authentiquement constatée, l’autre pour l’hypothèse contraire. S’il est écrit que la chrétienté doit un jour