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encore et dominé par tous ceux qui avaient contribué à son élévation, il n’était pas en mesure, dans d’aussi terribles complications, de produire avec son génie propre, en déployant ce caractère de modération régulière qui, depuis, a fondé sa puissance. Le premier souci d’un pouvoir intelligent doit être de conserver toujours l’entière disposition de lui-même, et d’éviter les évènemens sous l’influence desquels il peut craindre de la perdre.

Pourquoi la monarchie nouvelle eût-elle affronté un tel péril ? qu’y eût-elle gagné dans l’hypothèse la plus favorable ?

Déchirer les traités de 1815 pour reprendre ces frontières que, depuis les conférences de Léoben jusqu’à celles de Prague, l’Europe ne nous avait pas disputées, c’eût été là, sans doute, l’entreprise la plus populaire en France. Ajoutons que sa réalisation n’eût pas été un malheur pour l’Europe, s’il était vrai qu’un accroissement de territoire fût l’unique moyen de déterminer cette extension de l’influence française, qui seule peut défendre le monde contre la double oppression qui semble le menacer ; reconnaissons enfin qu’un tel accroissement était justifié d’avance par la doctrine de la pondération des pouvoirs et le droit des gens des derniers siècles. Si cette politique a été heureusement répudiée au lendemain d’une grande révolution, si l’on en a pénétré le danger et le vide, qu’on nous permette de croire que des considérations indignes d’elle n’ont pas déterminé la France, et que la conscience publique a compris ce qu’il y a d’immoral et de frivole dans le système fameux dont nous venons d’esquisser l’histoire ; qu’il ne nous soit pas interdit de trouver dans cette pacifique tendance une sorte de révélation anticipée de l’organisme nouveau que ce siècle aspire si laborieusement à enfanter.

Réunir à la France, par le seul droit de la conquête, ces provinces rhénanes que leur histoire, comme leur langue et leur génie, associent à la nationalité germanique ; étouffer en Belgique le germe heureux qui s’y développe pour proclamer une réunion à laquelle ne provoquaient pas les sympathies populaires, n’était-ce pas perdre une immense force morale dans la poursuite d’un accroissement de force matérielle problématique, n’était-ce pas contrarier le nouvel ordre européen, bien loin de l’aider à naître, et nous placer à la suite des préjugés, au lieu de nous mettre à la tête des idées ?

Dans la situation violente et fausse où se trouve établie l’Europe, l’agrandissement de son territoire n’est pas pour la France le seul moyen d’augmenter sa force relative et d’étendre la sphère de son influence. Il est évident pour tout le monde qu’il lui importe beau-