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Si les appréhensions des gouvernemens alors menacés dans leur existence par les agitations intérieures firent quelquefois de l’union des grands pouvoirs un instrument de mesures illibérales, c’était là un fait transitoire par sa nature, et d’après lequel il eût été fort peu politique d’apprécier le génie et la portée d’une institution à peine éclose. Ce fut après 1830 que le nouveau droit public, soudainement sorti des embarras d’une guerre générale, se révéla sous son véritable caractère. Aux difficultés qui se présentaient alors et dont il sut triompher, on put voir qu’il y avait en lui un germe déjà puissant de vie et d’avenir. Jusqu’alors la grande conférence européenne dont l’acte du 15 novembre 1818 avait complété la constitution, ne s’était préoccupée que d’un seul intérêt, celui de la sécurité des trônes

    sanctionnés par les traités existans ; calme et constante dans son action, elle n’a pour but que le maintien de la paix et la garantie des transactions qui l’ont fondée et consolidée.

    « Les souverains, en formant cette union auguste, ont regardé comme sa base fondamentale leur invariable résolution de ne jamais s’écarter, ni entre eux, ni dans leurs relations avec d’autres états, de l’observation la plus stricte des principes du droit des gens, principes qui, dans leur application à un état de paix permanent, peuvent seuls garantir efficacement l’indépendance de chaque gouvernement et la stabilité de l’association générale.

    « Fidèles à ces principes, les souverains les maintiendront également dans les réunions auxquelles ils assisteront en personne, ou qui auraient lieu entre leurs ministres, soit qu’elles aient pour objet de discuter en commun leurs propres intérêts, soit qu’elles se rapportent à des questions dans lesquelles d’autres gouvernemens auraient formellement réclamé leur intervention. Le même esprit qui dirigera leurs conseils et qui règnera dans leurs communications diplomatiques, présidera aussi à ces réunions, et le repos du monde en sera constamment le motif et le but.

    « C’est dans ces sentimens que les souverains ont consommé l’ouvrage auquel ils étaient appelés. Ils ne cesseront de travailler à l’affermir et à le perfectionner. Ils reconnaissent formellement que leurs devoirs envers Dieu et envers les peuples qu’ils gouvernent leur prescrivent de donner au monde, autant qu’il est en eux, l’exemple de la justice, de la concorde, de la modération, heureux de pouvoir consacrer désormais tous leurs efforts à protéger les arts de la paix, à accroître la prospérité intérieure de leurs états, et à réveiller ces sentimens de la religion et de la morale dont le malheur du temps n’a que trop affaibli l’empire. »

    Il est inutile, sans doute, de rappeler ici que l’alliance des cinq grandes puissances dont les ministres ont signé cet admirable manifeste, était distincte de la sainte-alliance proprement dite, dont le pacte fut conclu à Paris, le 26 septembre 1815, entre les empereurs de Russie et d’Autriche et le roi de Prusse. C’est la quintuple alliance scellée à Aix-la-Chapelle entre l’Autriche, l’Angleterre, la France, la Prusse et la Russie, qui a été la base de toutes les transactions politiques en Europe jusqu’à la conclusion du dernier traité de Londres, par lequel a été rompu ce faisceau, seul gage de la paix du monde.