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DE L’ÉQUILIBRE EUROPÉEN.

long-temps puissance stationnaire, assez forte pour se défendre, plus assez forte pour attaquer ? Enfin, depuis les jours de Louis XV et la destruction de la Pologne, n’était-il pas trop évident que la brillante étoile de la France s’obscurcissait à l’horizon des peuples ? Quels si grands changemens avaient donc introduit dans l’organisation territoriale de l’Europe ces luttes gigantesques, quels résultats définitifs étaient sortis, que n’eût pas déjà préparés la force des choses ? Qu’y avait-il de bouleversé, après tant de bouleversemens, dans l’économie de ces plans, inflexibles comme la Providence qui les trace ? En quoi l’héroïsme et le génie avaient-ils prévalu pour les modifier ? La vanité des combinaisons d’une politique isolée en face de la force suprême qui domine l’ensemble des choses humaines, n’était jamais apparue en Europe aussi clairement qu’après ces vingt-cinq années d’épreuves ; c’était en quelque sorte la morale de sa douloureuse histoire, l’idée divine épanouie dans le monde au prix du sang des générations ; c’était une pierre d’attente pour le droit nouveau qui commence à s’élever aujourd’hui sur les débris de la politique de l’égoïsme et de la science de l’équilibre. Essayons d’en dégager le principe.

Il n’est pas, depuis 1815, une transaction de quelque importance où l’Europe ne soit intervenue tout entière. Des défiances injustes et des mesures impopulaires voilèrent d’abord aux yeux du monde l’imposant caractère d’un tel accord, et la quintuple alliance d’Aix-la-Chapelle, cette haute inspiration que doit féconder l’avenir, put sembler conçue dans des vues étroites et mesquines. Il en est presque toujours ainsi des grandes choses qui n’appartiennent en propre à personne, et dont le génie ne se révèle que par le temps. Des engagemens regrettables ont pu être pris à Troppau, à Leybach et à Vérone ; mais l’esprit dans lequel fut dirigée l’alliance des grandes puissances aux premières années de sa fondation, n’infirme pas l’importance de ce concert fondé sur des engagemens réciproques et sur la quasi-permanence d’une conférence européenne. Ce fait, qui se produisait pour la première fois dans le monde, ouvrait une ère nouvelle dans les annales des nations, et la solennelle déclaration de principes émanée de l’Europe encore en armes sur nos frontières restera, pour la postérité, le monument le plus grave entre tous ceux de l’histoire contemporaine[1].

  1. Déclaration signée à Aix-la-Chapelle par les plénipotentiaires de l’alliance, le 15 novembre 1818 :

    « L’objet de cette union est aussi simple que grand et salutaire ; elle ne tend à aucune nouvelle combinaison politique, à aucun changement dans les rapports