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du moyen-âge et aux institutions représentatives. Elle nageait alors dans cet océan de contradictions d’où sortirent la déclaration de Saint-Ouen et tant d’autres vagues promesses. On se trouvait dans l’étroite obligation de satisfaire à deux tendances entre lesquelles on était également tiraillé ; aussi jamais œuvre ne porta-t-elle à ce point cachet de transition et de scepticisme. Quelques principes confessés dès cette époque par toutes les écoles, la sécurité des propriétés et des personnes, le libre exercice des cultes, la proscription de la traite des noirs, y sont seuls proclamés avec précision et netteté, de telle sorte que les progrès constatés dans l’ordre moral font ressortir davantage l’incertitude et l’incohérence dans les vues politiques.

À examiner les vices de ce grand ouvrage et ses chancelantes bases, on eût pu croire qu’une bien courte durée attendait ce traité de Westphalie du XIXe siècle. Voici cependant vingt-cinq années que l’édifice lésardé fait tête à l’orage, et quelles années que celles de notre temps, où dans chaque lustre semble se condenser un siècle ! Quels dangers n’ont pas menacé la paix de l’Europe, quelles passions et quels intérêts n’ont pas conspiré la guerre, quelles prodigieuses excitations n’ont pas poussé les peuples vers des destinées inconnues ! Comment la paix s’est-elle maintenue et consolidée par chaque épreuve nouvelle ? Comment le repos du monde a-t-il résisté à des atteintes multipliées, dont une seule aurait suffi pour l’embraser en d’autres temps ? Ceci n’est rien moins que le problème entier de l’avenir, que la révélation d’une situation toute nouvelle, qu’on ne nie plus, parce que chaque jour la constate davantage, mais qu’on ne comprend encore ni dans son principe, ni dans ses conséquences.

L’Europe venait d’acquérir, en la payant bien cher, une expérience destinée à lui profiter. Elle dut se demander ce que tant de guerres acharnées avaient changé au cours naturel des choses, à l’ascendant des peuples en voie de progrès, au déclin des peuples en voie de décadence ; et à la vue de résultats aussi disproportionnés avec l’immensité des sacrifices, l’instinct public se prit à douter de la fécondité de tant de combinaisons qui n’avaient pas notablement modifié les résultats qu’une prévoyance éclairée eût pu prédire un demi-siècle auparavant. L’Angleterre avait-elle attendu la révolution française pour afficher ses prétentions au monopole commercial et à la domination maritime ? La Russie ne suivait-elle pas, depuis Pierre Ier sa double pente vers l’Allemagne et vers l’Orient ? La monarchie prussienne n’avait-elle pas reçu de Frédéric II une sève destinée à lui faire pousser encore quelques rameaux ? L’Autriche n’était-elle pas depuis