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c’était enfin manquer de la manière la plus grave aux lois de cet équilibre qu’on faisait profession de rétablir.

Une autre puissance était avec la Russie demeurée libre de toute entrave, et dans la pleine disposition de sa force et de ses destinées Elle aussi avait pu réaliser, avec l’approbation de l’Europe, dont elle venait de stipendier les victoires, des plans conçus depuis plus d’un siècle. Personne ne s’éleva au congrès pour contester à l’Angleterre aucun de ces points formidables auxquels elle a su rattacher sur tous les continens et sur toutes les mers la chaîne qui enlace le monde. On ne lui disputa ni Heligoland, ni Gibraltar, ni Corfou, ni Malte, ni le Cap, ni l’Ile-de-France : on reconnut donc implicitement ses prétentions à la souveraineté maritime, comme on parut passer condamnation sur celles de la Russie relativement à l’Orient, en consentant, sur l’habile insistance du cabinet de Saint-Pétersbourg, à ne pas comprendre la Turquie dans l’acte de garantie signé par toutes les puissances chrétiennes.

Les périls qui déjà menacent l’Europe, ceux qu’elle redoute pour l’avenir, sont donc sortis des stipulations de Vienne aussi logiquement qu’une conséquence découle d’un principe. En abaissant la France pendant que tout s’élevait autour d’elle, on la contraignait à chercher dans les sympathies révolutionnaires une force qu’elle ne pouvait plus attendre de ses ressources territoriales en face des puissances liguées contre elle et agrandies. En permettant à la Russie de dépasser la Vistule pour s’établir au cœur de l’Allemagne, on réduisait à la condition de puissances du second ordre l’Autriche, assise sur la terre des volcans, la Prusse, plutôt agrandie que fortifiée par des lambeaux de territoire. En n’essayant pas même un effort pour sauver la liberté des mers et l’avenir industriel des nations indépendantes, on semblait autoriser l’Angleterre à faire tout ce que réclame le maintien d’une suprématie sanctionnée comme légitime, soit qu’il s’agisse d’imposer à l’empire céleste l’obligation de recevoir sans murmure les poisons qui croissent au bord du Gange, soit qu’il faille arracher des bords du Nil et de l’Euphrate le germe d’un pouvoir s’élevant comme une barrière entre les deux moitiés de son gigantesque empire.

La confusion des principes le disputa dans ces conférences fameuses à l’imprévoyance de l’avenir. Il est véritablement impossible de dire sur quel droit politique furent assis tant d’arrangemens accomplis contre la volonté des peuples et malgré leurs énergiques protestations. À quel titre la Norvége se trouva-t-elle réunie à la Suède, et