Page:Revue des Deux Mondes - 1840 - tome 24.djvu/48

Cette page a été validée par deux contributeurs.
44
REVUE DES DEUX MONDES.

étaient à bout, et ma blessure me causait, dans tout le côté droit, un engourdissement et une pesanteur singulière ; trois ou quatre soldats portaient chaque brancard, le reste du détachement escortait les prisonniers. La malheureuse femme de chambre était dans un état déplorable ; cependant le sentiment qui dominait chez elle, c’était la colère : les soldats eurent toutes les peines du monde à l’empêcher de souffleter un des brigands qu’elle croyait reconnaître pour l’avoir vu d’un peu près. Ce ne fut que long-temps après notre arrivée à l’auberge de Fondi, que Mme B… et sa fille sortirent de l’état de stupeur dans lequel les évènemens de cette terrible soirée les avaient plongées et qu’elles recouvrèrent parfaitement leurs sens. Leurs cheveux étaient épars, leurs vêtemens en lambeaux ; mais, au milieu de ce désordre, elles étaient admirablement belles, surtout quand, rouges et les yeux baissés, elles répondaient avec embarras à nos consolations et à nos soins.

Un chirurgien de Terracine qui sonda ma blessure dans la nuit, reconnut que fort heureusement le muscle seul de la poitrine avait été offensé, et que la plèvre n’avait même pas été touchée ; la main de M. B… le faisait affreusement souffrir ; cependant le chirurgien, qui avait autrefois servi dans l’armée de Murat, nous permit de reprendre dès le lendemain la route de Rome, où nous ne tardâmes pas à être parfaitement guéris de nos blessures. Malheureusement, cette scène horrible avait frappé au cœur le pauvre M. B… ; il languit tout l’hiver et fut emporté dans le mois de mars de l’année suivante, par les rapides progrès de la maladie consomptive dont il était atteint.

J’ai eu souvent occasion de revoir Mme B… et sa fille, qui depuis a épousé l’avocat G… À la suite d’un danger couru de compagnie, l’intimité s’établit d’une façon durable. — Quelles étaient vos pensées dans ce terrible moment ? lui demandai-je un jour que nous causions ensemble à cœur ouvert. — Je ne pensais qu’à ma fille, me répondit-elle.

C’est ce même Barbone qui fut depuis gracié et pourvu d’un emploi lucratif par le gouvernement romain. Il est encore aujourd’hui concierge du château Saint-Ange.

Gasparone, l’émule de Barbone, qui partagea avec lui la domination de l’Apennin, et que les habitans des districts de Sonnino et d’Itri appellent encore le dernier des braves, a terminé sa carrière de brigand d’une manière moins heureuse que son confrère. Il est détenu aujourd’hui dans la forteresse de Civita-Vecchia. Gasparone