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n’hésitaient pas à réputer inébranlable. L’empire se trouva pondéré par l’égalité établie entre les deux religions et le nombre de voix électorales départies à l’une et à l’autre ; l’Europe parut l’être également par la balance territoriale réglée par les traités de Munster, et plus tard par la paix des Pyrénées, entre les deux branches de la maison d’Autriche régnant à Vienne et à Madrid, et la France étroitement liée à la Suède, à laquelle les actes de Westphalie avaient ouvert la porte des diètes de l’empire.

Mais le monde politique se félicitait encore d’être échappé aux horreurs de la guerre par l’habileté des négociations, que déjà l’édifice élevé avec tant de peine s’écroulait de toutes parts. Pendant que la monarchie espagnole, jetée avec l’empire et les états de l’Italie dans l’un des plateaux de la balance, s’affaissait graduellement au milieu de ses richesses stériles, un jeune souverain s’agitait impatient dans les barrières élevées par les traités. Louvois lui improvisa des armées, Colbert lui prépara des finances, Lionne mit au service de son ambition toutes les cupidités princières du second ordre. S’appuyant donc, du chef de l’infante sa femme, sur un prétendu droit de dévolution, comme il aurait fait sur tout autre titre, Louis XIV envahit les Pays-Bas ; il menaça l’existence même de la Hollande, et après avoir résisté à l’Europe et dissous ses coalitions, il fit consacrer à son profit, à Nimègue comme à Riswick, des altérations fondamentales dans le système de l’équilibre européen. Éprouvé plus tard par les vicissitudes de la fortune et les résultats de ses fautes, il ne finit pas moins par réaliser la pensée la plus directement contraire à ce système, en plaçant son petit-fils sur le trône d’Espagne et en abaissant les Pyrénées devant la majesté de la France et de sa race.

Lorsque les longs revers eurent succédé aux longs succès, par l’un de ces périodiques retours qui font la balance véritable des choses humaines et garantissent seuls la liberté des nations, on reprit à Utrecht cette œuvre de pondération que les évènemens venaient de nouveau rendre possible. Mais que de changemens capitaux à introduire dans ce système européen fondé soixante années auparavant, et combien les prévisions diplomatiques n’avaient-elles pas été vaines ! L’alliance de la France et de l’Espagne était reconnue, et préparait dans l’avenir le pacte de famille ; la Suède ne pesait plus dans les destinées du monde, et cette puissance, fille des circonstances et d’un grand homme, ne figurait plus dans le Nord que pour servir de proie à un voisin dont, au siècle précédent, on ne prononçait pas même le nom. La Hollande, autre création artificielle du patriotisme et du