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DE L’ÉQUILIBRE EUROPÉEN.

les nations les plus policées de l’Europe se faire dans les deux mondes et sur toutes les mers une guerre de forbans et de barbares, courir sus aux neutres comme à l’ennemi, et lutter d’audace et d’impudeur dans la violation des droits les plus évidens. Les partages de la Pologne, le guet-apens de Bayonne, les ordres de l’amirauté et les décrets de Berlin, voilà où aboutirent en moins de deux siècles les théories savantes appliquées à Osnabruck et à Munster par les plus fortes têtes de leur temps ; présage désespérant pour les sociétés actuelles, s’il n’y avait à signaler aujourd’hui quelques symptômes qui permettent du moins de concevoir l’espérance d’une réorganisation de la science politique sur une base plus large et sur une doctrine moins arbitraire. Avant de signaler ces symptômes vagues encore, mais réels, achevons de nous rendre compte de ces idées, dont le congrès de Vienne a essayé la réhabilitation ; demandons-nous si le système fameux de l’équilibre sur lequel l’Europe prétendit se reconstituer après la grande scission du XVIe siècle, présentait dans l’ordre politique plus de garanties que le droit des gens n’en offrait dans l’ordre moral ; recherchons si le maintien de ce système, opiniâtrement poursuivi, n’a pas coûté à l’humanité autant de guerres qu’il a pu lui être donné d’en prévenir.

Ce fut une ingénieuse idée que celle d’une pondération constituée de telle sorte que les grandes puissances se maintinssent immobiles à raison de l’égalité de leurs forces, et que leur équilibre même devînt la garantie de l’indépendance et de la sûreté des états d’un ordre inférieur. Dès qu’on devait renoncer à fonder l’édifice européen sur l’idée d’un droit inhérent à chaque nationalité, droit inviolable par lequel celle-ci vit et se conserve au même titre que l’homme ou la famille elle-même, on ne pouvait méconnaître ce qu’une telle théorie offrait au moins de spécieux. À l’Angleterre revient l’honneur de la première application. Les Tudors tinrent habilement la balance de l’Europe entre la France et l’Espagne. Cromwell dut sa grandeur à la manière élevée dont il comprit le rôle que faisait à sa patrie la rivalité de la maison d’Autriche et de la maison de Bourbon, et la chute d’une dynastie pensionnaire de Louis XIV constata que l’opinion ne permettait pas au gouvernement de la Grande-Bretagne de manquer impunément à la mission que lui déférait l’Europe.

Le congrès de Westphalie n’est une si grande époque dans les annales diplomatiques que parce qu’indépendamment des principes de gouvernement intérieur qu’il proclama pour l’Allemagne, il tenta de fonder l’équilibre général sur une base que les contemporains