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DE L’ÉQUILIBRE EUROPÉEN.

les appuyer de témoignages empruntés à l’histoire de l’antiquité polythéiste. De l’Europe, il ne se préoccupe guère plus que de la Chine. Pour savoir ce qu’est la paix, ce qu’est la guerre, ce que comporte la première, ce qu’autorise la seconde, il dépouille laborieusement Homère et Virgile, Thucydide et Tite-Live, éclatantes renommées, les seules auxquelles on payât encore en ce temps un religieux respect et une admiration unanime.

On comprend la faiblesse inséparable d’un tel mode de procéder, lorsqu’il s’agit de déterminer les rapports introduits par une civilisation aussi éloignée des doctrines que des habitudes de l’antiquité, rapports multiples et complexes d’industrie, de marine, de communication journalière, auxquels Rome et la Grèce étaient aussi étrangères que nous pouvons l’être à la mollesse de cette vie où l’esclavage des masses était le piédestal de la liberté du petit nombre.

Aussi a-t-on pu remarquer que, malgré la rectitude de sa pensée, Grotius n’échappe pas aux difficultés attachées à son point de départ. Relativement à l’état de guerre, au dommage que cet état autorise à causer à l’ennemi, au droit qu’il confère sur la propriété publique et privée, au droit plus redoutable de vie et de mort sur la personne du prisonnier, à la faculté de convertir ce droit en un esclavage légitimement perpétué de génération en génération, ce publiciste est d’une rigueur souvent désespérante. Il a recours alors, pour atténuer ses solutions, à une distinction toute gratuite entre le droit naturel et le droit des gens proprement dit, entre la justice et la modération, l’une résultant du droit consacré par le consentement des peuples, l’autre des inspirations d’une ame généreuse qui se refuse à consommer le mal quand celui-ci n’est pas absolument nécessaire.

On ne saurait méconnaître assurément la grande autant qu’heureuse influence de l’illustre Hollandais. Par la seule force de sa pensée et de son savoir, il contribua à recréer pour les nations un code politique dont les règles furent un bienfait, quelque arbitraire qu’en fût le principe. S’il ne retrouva pas les titres perdus du genre humain, il lui en donna du moins de provisoires, et releva dans le monde l’idée du droit, encore qu’il la laissât sans garantie sérieuse. Ses successeurs et ses disciples, à commencer par Puffendorff pour finir par Gérard de Rayneval, acceptèrent et maintinrent son principe, mais ils substituèrent de plus en plus l’autorité de la conscience humaine à celle des faits fournis par l’expérience et par l’histoire. Le droit des gens se rationalisa comme la philosophie elle-même, et finit par se confondre complètement, chez quelques publicistes modernes,