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DE L’ÉQUILIBRE EUROPÉEN.

humanitaire, les autres comptent, pour la réaliser, sur l’expérience chèrement acquise par les peuples, ou sur ces agitations intérieures qui en menaçant l’ordre social, imposent aux gouvernemens une réserve dont leur sûreté même leur prescrit de ne pas se départir.

Nous n’hésiterons pas, sans exclure cet ordre de considérations, à remonter jusqu’à l’origine des idées répandues dans la société moderne ; nous y verrons une modification de ce christianisme latent dont le monde est comme imprégné, alors même qu’il méconnaît la source de ses inspirations les plus puissantes. C’est parce que l’idée chrétienne s’est réalisée dans le droit civil, que les peuples ont conquis l’égalité sur l’esprit de caste ; c’est parce qu’elle tend à se réaliser dans le droit des gens, que la paix se maintient au milieu des plus difficiles épreuves, et que l’opinion publique a jusqu’ici dominé de toute sa hauteur et les caprices des ministres aventureux et les antipathies des cours. Il n’est donc pas interdit d’espérer que la guerre ne fléchisse un jour comme l’esclavage devant cette grande révélation de l’égalité naturelle des êtres et de la fraternité des peuples, dont dix-huit siècles n’ont pas suffi pour épuiser la profondeur féconde. Depuis l’établissement du christianisme, le monde est constamment travaillé par cette idée d’une direction pacifique opposée à celle de la force. L’énergie de la foi populaire la réalisa partiellement au moyen-âge, alors même que la prédominance du pouvoir militaire semblait rendre cette réalisation plus impossible. Sur cette idée se forma le grand corps de la chrétienté ; elle releva les peuples du joug de la conquête, et ralluma dans les ames, avec le sentiment de la dignité humaine, l’étincelle de la liberté.

La plus belle histoire qui soit à écrire, serait assurément celle du droit public primitif de l’Europe catholique, tel qu’il résulte des décisions pontificales, des actes des assemblées nationales, et de ces innombrables conciles dont la mission n’était pas alors moins politique que religieuse Cette histoire commencerait au VIe siècle, à l’établisement des premières nationalités européennes ; elle aurait son apogée dans les croisades et se continuerait jusqu’aux jours de Charles-Quint, dont l’ambitieuse tentative détermina la fondation d’un nouveau système politique, destiné à remplacer celui auquel la réforme religieuse venait de porter les derniers coups. Le publiciste qui se vouerait à cette grande tâche, aurait à faire un double travail : il devrait, d’une part, dégager de la luxuriante confusion de cette vie du moyen-âge si pleine et si troublée, les maximes d’égalité et de charité évangélique qui tendaient à prévaloir dans les relations des hommes et