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REVUE. — CHRONIQUE.

le bohémien, le polonais, le venède ; enfin la branche letto-prussienne, au centre, qui comprend le prussique, le lithuanien et le letton.

Après avoir examiné avec quelque étendue les principales questions philologiques que soulèvent les idiomes slaves, M. Eichoff passe à la littérature, et là on retrouve la même aridité, le même procédé d’énumération superficielle et courante, qui choque dès l’abord dans la partie historique. — Il y a si peu d’unité dans les populations slaves, qu’outre la diversité des idiomes particuliers, elles n’ont pas même une religion commune. Les Russes, les Serbes, les Croates, les Carniens, sont de l’église grecque ; les Lithuanes et les Lettons sont protestans ; enfin les Bohêmes, les Slovaques, les Polonais, les Vendes, sont catholiques. Il y a donc eu chez les Slaves des développemens, ou, pour dire moins mal, des efforts littéraires distincts et qui demandent à ne pas être confondus. M. Eichoff parle d’abord de l’esclavon. C’est une langue éteinte, c’est l’ancienne langue sacerdotale des Slaves. On ne sait même pas où elle fut parlée ; les Annales de Nestor, qui remontent au XIIe siècle, quelques homélies, voilà à peu près tout ce qui reste de l’esclavon. Les autres branches ne sont pas beaucoup plus riches. C’est d’abord le russe : le russe a eu naguère ses trouvères, ses scaldes, ses troubadours, bien qu’assez tard ; c’est ce que M. Eichoff, dans le style de Marchangy, appelle les bardes inspirés de la Russie. Wladimir a été l’Arthur, le Charlemagne de la Russie ; c’est à lui que se rapportent presque tous les chants populaires ; c’est autour de lui que se groupe le cycle des légendes, comme on dit. Au surplus, il reste de cette première culture fort peu de monumens, et on ne distingue guère que quelques romances gracieuses, comme nous en avons dans la langue d’oïl. La Russie était tellement en arrière du mouvement commun, que la première imprimerie n’y fut fondée qu’en 1564, le premier théâtre qu’au XVIIe siècle, le premier journal que sous Pierre-le-Grand. Dès que des noms plus nombreux commencent à apparaître dans les lettres russes, M. Eichoff reprend l’énumération sans critique. C’est un véritable catalogue. Avec les temps plus modernes seulement, l’enthousiasme de l’auteur augmente : ses épithètes deviennent plus louangeuses et plus vives ; la qualification de grand poète revient souvent. Derzavin est placé « au niveau des beaux génies de l’antiquité ; » Karamzin est appelé « immortel, profond, éloquent ; » Koslov est presque mis au-dessus de Byron. Je n’ai aucune raison de ne pas croire au talent de Derzavin, de Karamzin et de Koslov, mais il y a beaucoup à rabattre de l’enthousiasme sans mesure de M. Eichoff. On ne traite pas une littérature naissante avec ce respect, ce culte, ce fétichisme exagérés.

Le serbe est parlé en Servie, en Bosnie, en Dalmatie. Mme Voiart a naguère donné la traduction de quelques chants populaires serbes qui ont beaucoup plus d’intérêt que tout ce que dit M. Eichoff avec sa sécheresse habituelle. J’attendais des détails attachans sur l’essor que les Dalmates durent, pendant le XVIe siècle, à la république de Raguse. M. Eichoff en parle à peine. Sur le bohémien, l’auteur n’est guère plus complet. Il mentionne à peine quelques chants nationaux du VIIIe siècle (je me méfie, de cette date reculée), ou les