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REVUE. — CHRONIQUE.

tour de Pise, et qui adresse à son père une interrogation si sublime, se nommait Anselmuccio ; il semblait avoir payé assez cher le droit d’aller à la postérité, mais M. Antony Deschamps n’en a pas jugé ainsi, car il met :

Eux pleuraient cependant ; et mon cher petit Pierre
Dit : Père, qu’as-tu donc ?

Nous ne donnerons qu’un seul exemple de la fidélité de M. Mongis, autre traducteur de la famille de M. Artaud, et très littéral, à ce qu’il prétend.

Dante dit ceci :

« Tu ne trouveras pas une ame qui ait plus mérité d’être enfoncée dans la glace. »

M. Artaud, qui a l’imagination féconde, a inventé cette traduction : « Tu parcourras toute l’enceinte de Caïn avant de trouver une ombre qui ait plus mérité qu’eux d’être abreuvée de l’amertume du bouillon de glace. »

Ce bouillon de glace a fort affriandé M. Mongis, et il a donné en plein dans la cuisine de M. Artaud :

Cherche dans tout Caïn,
Tu ne trouveras pas un seul hôte, au festin,
Plus digne de goûter l’infernale gelée.

Comme cela est littéral, et rend avec exactitude le passage de Dante !

La traduction de M. Artaud, qui a de la réputation, et qui lui a coûté vingt-quatre années de travaux, constitue la plus grande déception de sa vie ; en général, cette malheureuse traduction ne traduit rien du tout, que les idées de M. Artaud qui ne sont pas ordinairement celles de Dante. Ajoutons qu’il y a des hérésies pour faire brûler cent fois M. Artaud, si l’inquisition existait encore. Nous n’exagérons rien en affirmant, du fond de notre sincérité et de notre loyauté, que nous ne savons par quel bout la prendre, et à quels exemples donner la préférence, afin de justifier ce que nous avançons. La partie est si belle, que nous ne savons la jouer.

Tantôt M. Artaud prend un nom propre pour un nom de profession. Dante avait dit : « Ô Romagnols, tournés en bâtards ! quand est-ce qu’un Fabbro renaîtra à Bologne ? quand un Bernardin de Fosco à Faënza, noble tige sortie d’une pauvre racine ? » M. Artaud met : « Ô habitans de la Romagne, redevenus sauvages, quand un forgeron (pauvre Fabbro), planté à Bologne, commence à pousser de profondes racines, aux rangs des premiers seigneurs, quand un Bernardin de Fosco devient à Faënza d’une faible graminée un arbre superbe ! »

Tantôt M. Artaud prend le vin blanc pour le printemps. Dante parle du pape Martin IV, gourmet qui faisait noyer ses anguilles dans du vin blanc de Florence, nommé vernaccia. M. Artaud met : « Il naquit à Tours, et il expie par le jeûne les anguilles de Bolsena, qu’il faisait mourir au printemps. » Tantôt M. Artaud prend des moines pour des mérinos. Dante avait dit : « Il y en a bien de celles (des brebis) qui craignent le danger, et qui se pressent contre le pasteur ; mais ces moines sont si rares, qu’il faut peu de drap pour