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traditions païennes, parce qu’il rentre dans la théorie donnée par les Pères sur l’origine du polythéisme. C’est ainsi que Delille, ne comprenant pas que les héros nommés par Virgile dans la descente aux enfers ou dans les batailles de la conquête d’Énée rentraient dans la tradition, et étaient la glorification des grandes familles romaines, les remplace, selon le besoin de sa rime, par Polydamas, par Polydore et autres pareils. Ces choses-là se faisaient sous le règne du bon goût, comme on disait alors.

M. Artaud est le père d’une famille de traducteurs qu’il a nourris de sa substance comme de petits pélicans. Ils auraient pu avoir une meilleure table. MM. Gourbillon, Terrasson et Chabanon ont plus ou moins torturé la prose de ce bon M. Artaud. M. Le Dreuil l’a mise en couplets, auxquels il ne manque qu’un air. M. Antony Deschamps lui-même, ce poète à la forme si nerveuse et si belle, s’est repu, comme les autres, de la substance de M. Artaud, malgré les protestations auxquelles il se livre pour établir qu’il a suivi Dante pas à pas. Ce que nous disons là est justifié pour nous par quelques passages que M. Artaud n’a pas compris, et dans lesquels M. Antony Deschamps a reproduit la même erreur. Ainsi, c’est une manie de M. Artaud de nommer Virgile, qui était de Mantoue, le sage romain. M. Antony Deschamps n’a garde d’y manquer :

Le poète romain, debout à son côté,
Le sait ; il a senti la dure vérité.

Ainsi encore Dante fait parler, dans le Paradis, l’aigle, symbole de l’empire romain. M. Artaud s’imagine que cet aigle était une enseigne, et le fait du genre féminin ; M. Antony Deschamps répète :

Quand Constantin tourna l’aigle du Paradis
Contre le cours du ciel qu’elle suvit jadis.

Enfin, et ceci est concluant, au vingt-cinquième chant du Paradis, Dante, qui est dans la force de l’âge, espère que son poème, qu’il achève, apaisera les haines qui l’ont chassé de Florence, et se sert du mot vello par allusion au manteau d’hermine des poètes triomphateurs. Or, il a plu à M. Artaud de faire souhaiter à Dante de revenir bien vieux dans sa patrie, et M. Antony Deschamps lui fait dire :

Et je visiterai,
Poète aux cheveux blancs, les fonts de mon baptême.

La traduction de M. Antony Deschamps, en d’autres passages, manque, non plus d’originalité, mais de fidélité. Brunetto Litini parle ainsi à Dante : « Ta destinée sera réservée à tant d’honneur, que les deux parties auront soif de toi ; mais l’herbe restera loin de leur bec. »

M. Deschamps qui se pique d’être littéral, a mis :

Mais leur désir est vain,
Et la bouche béante attend long-temps le vin.

Enfin, lorsque les noms historiques ne vont pas à M. Antony Deschamps, il les change. Le plus jeune des fils d’Ugolin, mort de faim avec lui dans la