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REVUE. — CHRONIQUE.

Ce qui nous fait mettre à un prix si grand la traduction de M. Fiorentino, ce sont précisément celles qui l’ont précédée.

Les traducteurs de Dante, complets ou partiels, sont jusqu’ici, à notre connaissance, l’abbé Grangier, Moutonnet de Clairfonds, Rivarol, M. Artaud. M. Antony Deschamps, M. Gourbillon, M. Terrasson, M. Chabanon, M. Le Dreuil et M. Mongis, connu par sa polémique avec M. Victor Hugo, au sujet de Claude Gueux. Rivarol et M. Artaud ont traduit en prose ; les autres ont traduit en vers, ou peu s’en faut.

Le bon abbé Grangier, qui a dédié son livre à Henri IV, s’est arrangé pour traduire vers pour vers et mot pour mot. Quand il ne peut pas traduire, il fourre tout simplement le passage italien dans son vers, et il continue ; ce qui fait qu’il est aussi simple de chercher le sens de Grangier dans la Divine Comédie, que le sens de la Divine Comédie dans Grangier. Le procédé de M. Moutonnet est encore plus simple. Au moins, quand Grangier ne comprend pas un mot italien, il le met tel quel dans sa traduction, s’en rapportant à la grace de Dieu et à l’intelligence du lecteur : M. Moutonnet, lui, n’y fait pas tant de façons ; il ne met rien du tout ; seulement, il fait une note, pour dire que la différence du génie des deux langues l’a empêché de traduire le passage sauté. Cette espèce de note, ressource habituelle des traducteurs qui ne comprennent pas leur auteur, nous en rappelle une ravissante d’un honnête traducteur de Suétone, M. Ophellot de la Pause, un voltairien enragé, auquel nous devons les meilleurs momens de gaieté que nous aient donnés nos lectures. Donc, M. de la Pause avait trouvé dans Suétone que l’empereur Caligula fit mourir l’esclave nomenclateur de nous ne savons plus quel personnage. L’esclave nomenclateur était une espèce de valet de chambre, chargé de se tenir à la porte de son maître, les jours de réception, pour lui annoncer les cliens par leur nom. Quelles que soient les susceptibilités de la langue française, il est donc impossible d’en imaginer une qui s’opposât à la désignation de l’esclave nomenclateur ; mais, au lieu du terme nomenclator, dont les latins se servaient le plus souvent pour le nommer, Suétone avait employé une forme approchante, moins usitée, du même mot, et ce brave M. de la Pause, qui ne comprenait pas, alla s’imaginer qu’il s’agissait de je ne sais quelle ordure grecque, qui fut la cause de sa note pudibonde.

M. le comte de Rivarol, de spirituelle mémoire, est un traducteur de Dante fort ridicule. Le XVIIIe siècle, avec ses prétentions philosophiques et son érudition plus que superficielle, ne pouvait pas comprendre l’œuvre théologique et profonde de Dante, il s’en moquait : c’eût été bien s’il ne s’était pas avisé de le traduire ; mais quelle traduction, bon Dieu ! C’est une chose à la fois triste et comique de voir Voltaire et Rivarol donner des leçons de goût à l’auteur de la Divine Comédie. « On n’a pas traduit ces trois vers, dit Rivarol, parce qu’ils coupaient désagréablement et ralentissaient la rapidité de cette description. Tantôt il trouve que les noms des démons sont mal sonnans, tantôt il renvoie Dante au dictionnaire de la fable, ne comprenant pas, le pauvre homme ! que le système mythologique du poète s’écarte à dessein des