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dans les livres de Platon, d’Aristote ou d’Averroës ; enfin, s’il ne la trouve ni dans Averroës, ni dans Aristote, ni dans Platon, il la cherche dans la scholastique et dans la science du moyen-âge. Il y a ainsi, dans la Divine Comédie, des questions magnifiques qui sont examinées au point de vue de ces diverses autorités, et qui éblouissent l’esprit par la hauteur de la pensée et par l’éclat du style. De ce nombre sont la question de la génération, et la question, si difficile au moyen-âge, des taches de la lune.

Donc, pour suivre Dante dans son poème, un et triple, à l’imitation de Dieu, il faut avoir une instruction immense et comme spéciale, car il faut savoir la théologie chrétienne, considérée dans le dogme et dans la discussion des docteurs ; il faut savoir la philosophie païenne, connaître surtout ses deux plus grands représentans, Platon et Aristote ; enfin, il faut savoir toute l’immense et effroyable matière qui servait à la discussion des scholastiques, les réalistes et les nominaux, Abailard, Pierre Lombard, saint Bonaventure, saint Bernard, saint Thomas d’Aquin, le Décret et les conciles. En un mot, Dante est un monde, et il faut des épaules d’Atlas pour le porter. Qu’on se représente d’ici les grimaces que font sous ce fardeau les petits faiseurs de quatrains ou de littérature railleuse qui se sont avisés de traduire la Divine Comédie.

Vu toutes ces difficultés, difficultés de langue et difficultés d’idées, qui se présentent à l’entrée du poème de Dante, nous félicitons la littérature française de l’œuvre remarquable dont M. Angelo Fiorentino vient de l’enrichir. Qui fera aussi bien, sera un homme d’un grand talent ; faire mieux nous semble difficile. M. Fiorentino serre le sens de si près, que qui que ce soit ne saurait se vanter de passer entre lui et le poète. Nous ne répondons pas des étrangetés qu’on rencontrera dans cette traduction, ni M. Fiorentino non plus apparemment ; mais Dante en répond pour tout le monde, car la traduction est littérale, et presque mot pour mot.

Il faut donc que M. Fiorentino ait fait une étude bien approfondie de la langue italienne, pour avoir compris à ce point le sens littéraire de Dante ; et il faut, en outre, qu’il ait fait une étude bien plus approfondie encore des grandes et sublimes matières qui sont traitées dans la Divine Comédie, pour en avoir à ce point rendu le sens moral. Les notes précises et claires, qui accompagnent la traduction, décèlent un homme d’un esprit droit et bien sûr de lui-même ; cependant ces notes ne devraient pas dispenser d’une introduction. M. Fiorentino la fera-t-il ? On remarquera sans doute, en lisant sa traduction, un bon nombre de passages latins, qu’il a laissés tels qu’ils sont dans le poète, tandis que les autres les ont traduits. Cela vient de ce que M. Fionentino savait que c’est une règle traditionnelle de l’église catholique de ne pas traduire en langue vulgaire les Écritures. C’est pour cela que Dante lui-même ne les avait pas mises en italien, quelque difficulté qu’il y eût à faire entrer dans ses tercets le latin de la Vulgate. Depuis Dante, la tradition de l’église a été formulée en canon par le concile de Trente ; mais les traducteurs vulgaires ont bien d’autres affaires avant d’aller s’occuper des canons.