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REVUE. — CHRONIQUE.

toute la littérature transalpine depuis un siècle, sont hors d’état de comprendre la Divine Comédie. Les personnes qui ont appris à suivre les airs de bravoure de Rubini et les romances de la Grisi n’en traduiraient pas deux tercets. En un mot, le maître d’italien proprement dit et ses élèves sont exclus de la lecture de Dante. En effet, le maître d’italien, en général, n’est qu’un pauvre réfugié, faisant de la littérature en amateur sur la terre d’exil, et il est en état d’enseigner la langue de Dante aux étrangers, à peu près comme les accusés d’avril leur enseigneraient la langue de Ville-Hardouin ou de Joinville. Il faut donc, de toute nécessité, pour traduire la Divine Comédie, un homme qui ait fait, comme nous disions, une étude littéraire et savante de l’italien du moyen-âge, et il est bien difficile que cet homme ne soit pas né et n’ait pas été élevé en Italie. Un Allemand, par exemple, serait-il en état d’apprendre assez bien le français pour comprendre également Pascal, Brantôme, Commines, Froissard, Joinville et Ville-Hardouin, six écrivains employant six français différens ? Cela nous semble d’une difficulté à peu près insurmontable. Il faut être né dans une langue pour en bien discerner les âges différens.

La difficulté que nous avons nommée difficulté des idées, est extrême dans la Divine Comédie, si bien qu’après avoir fait les études nécessaires pour en comprendre le sens littéraire, on pourrait se trouver encore hors d’état d’en comprendre le sens moral ; voici pourquoi :

La Divine Comédie est une épopée dans le sens d’Aristote, c’est-à-dire que, semblable à l’Odyssée, elle comprend, pose et résout toutes les questions relatives à l’homme, à l’homme vivant et à l’homme mort. C’est donc, comme nous disions, un poème théologique en même temps qu’un poème moral et littéraire. Dans l’Odyssée, les questions relatives à l’homme après sa mort, ou les questions théologiques, sont principalement traitées dans la descente aux enfers. Dans la Divine Comédie, qui se passe de prime abord dans l’autre monde, et qui ne traite des choses relatives à celui-ci que par des récits qui en sont un rayonnement, les questions théologiques sont traitées depuis le commencement jusqu’à la fin ; la manière de procéder de Dante est donc en général celle-ci : À mesure qu’il s’avance dans l’enfer, dans le purgatoire et dans le paradis, il rencontre des corps, des ombres et des clartés ; ces corps, ces ombres et ces clartés sont la réalité ou l’apparence d’hommes qui sont morts. Dante les questionne ou en est questionné, et dans ces réponses mutuelles est contenue toute l’histoire du moyen-âge. Lorsqu’il se présente sur ces corps, sur ces ombres et sur ces clartés, des difficultés qu’une intelligence vivante ne peut pas comprendre, alors Dante consulte Virgile qui le mène depuis la porte d’entrée de l’enfer jusqu’à la porte de sortie du purgatoire, et Béatrix qui le reçoit sur le seuil du paradis, ou bien encore il consulte les saints, les apôtres et les docteurs.

Lors donc qu’une question se pose à l’esprit de Dante, il en cherche d’abord l’explication dans la théologie, et il la donne dans toute sa rigueur. Si la théologie ne contient pas cette explication, il la cherche à travers les innombrables écrits des Pères de l’église ; s’il ne la trouve pas dans les Pères, il la cherche