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REVUE. — CHRONIQUE.

On sait ce qui est arrivé. Les conservateurs n’ont pas cherché à renverser le cabinet du 1er  mars, mais ils ne lui ont jamais pardonné d’être.

Il se retire aujourd’hui devant une question de politique extérieure, il se retire noblement, loyalement, d’une manière toute légale, sans bruit, donnant lui-même le conseil d’appeler aux affaires l’homme éminent que les conservateurs, avec une rare ingratitude, avaient abandonné, l’homme dont nous leur disions qu’ils seraient très heureux de retrouver les talens et la direction, le jour où ils voudraient essayer quelque chose de sérieux et de durable.

M. Guizot retrouve son armée, une armée débandée qui rentre sous les lois de la discipline. C’est bien. M. Guizot en reprend le commandement, c’était inévitable ; M. Guizot ne pouvait pas, sans s’annihiler politiquement, refuser de reprendre, à la tête de son parti, la place qui lui appartient. Dès le moment que le cabinet de M. Thiers n’avait pas trouvé grace devant la plupart des conservateurs, il en résultait comme une conséquence nécessaire que le cabinet de M. Thiers devenait, malgré ses divers élémens, un cabinet de centre gauche s’appuyant sur la gauche, et que le jour où il viendrait à se retirer, il serait remplacé par une administration du centre droit s’appuyant sur la droite. C’était encore une nécessité. Aussi, avons-nous, dès le premier moment, affirmé, et certes par pure conjecture, que MM. Dufaure et Passy, malgré leur éloignement de M. Thiers, refuseraient de faire partie de la nouvelle administration.

Maintenant que doit-on attendre ? Certes, nul mieux que nous ne connaît les principes modérés, les idées larges, l’esprit libre de M. Guizot ; mais il ne s’agit pas pour nous de savoir ce que sera, ce que fera M. Guizot. Nous le savons, sans que M. Guizot, sans que personne nous le dise. Nous savons que le jour où M. Guizot ne pourra plus faire prévaloir sa pensée, sa conviction dans les affaires de son pays, il les quittera. Il ira dans sa modeste demeure et attendra que les évènemens lui donnent raison, et que le tour de la roue le ramène au sommet. Ce qu’il importe de savoir, c’est ce que sera, ce que fera le parti de M. Guizot, le parti conservateur. Écoutera-t-il la voix ferme et prudente de son chef ? Ne voudra-t-il pas voir dans l’avénement du nouveau cabinet une victoire ? Ne voudra-t-il pas en abuser ? Sans doute, laissé à lui même, loin de toutes provocations, de toute attaque, le parti ne s’emporterait pas. Sans doute, si, comme on le désire, le ministère trouvait appui sur tous les bancs de la chambre, depuis M. de Lamartine jusqu’à MM. Thiers et Dufaure inclusivement, le parti gouvernemental serait très fort et partant modéré. Ce serait sous une autre forme la réalisation, en grande partie du moins, de nos vœux, cette fusion, ou du moins ce concours, qui seuls peuvent donner au pouvoir des garanties si nécessaires de puissance et de stabilité. Hélas ! on sait à quoi s’en tenir sur ces utopies. Les hommes qui ne veulent pas se réunir pour partager le pouvoir, se réuniront-ils pour l’assurer dans les mains qui l’ont saisi tout entier ? Dieu le veuille ! mais, avant de le croire, il faut attendre des preuves.

Ce qu’il y a de plus probable, ce qui est le plus à craindre, c’est que les