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seule séance, même lorsque, suivant l’hypothèse d’Aristote, on eut employé la clepsydre[1]. Il ne faut pas oublier non plus que, dans les diverses fêtes de Bacchus qui se célébraient à Athènes et au Pyrée[2], il y avait non-seulement des concours de tragédie, mais encore des concours de comédie[3], de sorte qu’en admettant, ce qui est loin d’être prouvé, que la lice ne s’ouvrît que pour trois poètes de chaque genre, il n’y aurait toujours pas eu moins de neuf tragédies, trois drames satyriques et trois comédies, c’est-à-dire, après toutes les éliminations possibles, quinze pièces à entendre et à juger.

Il est vrai que, par suite des difficultés qu’offrait la représentation des tétralogies, Sophocle abandonna cette forme de drame, qu’il avait employée avec succès[4], et opposa tragédie à tragédie[5]. Mais il est rare dans la carrière des arts de pouvoir revenir d’une forme complexe à une forme plus simple. On vit bientôt reparaître les tétralogies. Euripide affectionna cette sorte de drame. Seulement il paraît, comme presque tous les poètes qui le suivirent dans cette voie, s’être écarté de la sévère unité de la trilogie eschyléenne, et avoir cherché le succès dans le contraste bien tranché des sujets[6] et la diversité des émotions[7]. Euripide semble encore avoir tenté une autre très grave innovation : il remplaça, dit-on, quelquefois le drame satyrique par une quatrième tragédie, d’un caractère moins sombre que les trois premières. On cite l’Alceste, qui contient, en effet, des parties presque comiques, comme ayant été la quatrième pièce d’une des tétralogies de ce poète. L’introduction de ce nouveau procédé peut expliquer pourquoi nous ne retrouvons la trace que de cinq drames satyriques parmi les pièces connues d’Euripide.

L’abbé Barthélemy, qui s’est proposé, dans un savant mémoire, de déterminer combien de pièces on représentait en un jour sur le théâtre

  1. Aristot., Poetic., cap. VII § 11
  2. Demosth., In Mid., pag. 604, Francf.
  3. Une inscription, expliquée par M. Boeckh (Corpus inscript., tom. I, n. 23), donne sur deux colonnes les titres des tragédies et des comédies jouées dans une même solennité.
  4. Sophocle vainquit Eschyle avec une tétralogie, mais avec une tétralogie composée de sujets divers. C’est pour cette raison, suivant Welcker (ouvrage cité, pag. 513), que la décision des juges fut si laborieuse. Il ne s’agissait pas seulement de prononcer entre deux ouvrages, mais entre deux systèmes.
  5. Suid., voc. Σοφοχλῆς.
  6. Welcker, ouvrage cité, pag. 524-527. — Hermann (De Composit. tetralog. tragic.) regarde, au contraire, la diversité des sujets comme la loi générale de ce genre, de composition.
  7. M. Welcker pense même que la trilogie unitaire, ou eschyléenne, ne disparut pas entièrement après la réforme faite par Euripide. Ainsi, il croit qu’une trilogie de Mélitus, intitulée l’Œdipodée, était composée dans la forme d’Eschyle, et non dans le système d’Euripide.