Page:Revue des Deux Mondes - 1840 - tome 24.djvu/430

Cette page a été validée par deux contributeurs.
426
REVUE DES DEUX MONDES.

réunir encore ; c’est-à-dire que le désir enveloppe tous les degrés de l’amour[1]. Et si la conscience a pour forme éminente l’opposition idéale de son objet (non moi) et de son sujet (moi) dans la volonté, si elle a pour condition immédiate leur union imparfaite, demi-idéale et demi-réelle en quelque sorte, dans le désir, elle a pour fonds leur unité réelle dans l’amour.

Or, l’Amour n’est plus, comme la Volonté, l’acte abstrait d’un principe qui se résout d’aller à la fin, encore tout idéale, où il doit réaliser ses puissances ; et par conséquent un simple mode d’une substance. Ce n’est plus même seulement, comme le Désir, un mouvement par lequel le principe, se transformant en sa fin sous l’action immédiate qu’il en reçoit, tend à s’y réaliser incessamment ; c’est la réalité achevée, la perfection, la consommation du Principe, uni à sa Fin, identifié avec elle. Ce n’est plus un mode, c’est la substance de l’ame.

Peut-être que l’intelligence entière, adéquate, n’en est possible qu’en Dieu. Peut-être qu’en ce sens la réflexion qui la cherche « est à l’ame ce que l’asymptote est à la courbe, qu’elle n’atteint que dans l’infini. » Mais dans cet infini elle approche du moins sans cesse de l’âme, ainsi que l’asymptote approche elle-même de la courbe ; elle y prévoit, y prédit comme le terme et l’accomplissement de toute pensée. Et tandis que la science calcule et poursuit la formule, qui n’en reconnaît en soi, qui n’en trouve dans son cœur l’infaillible quoiqu’obscure conscience ?


Après avoir trouvé l’ame dans une tendance ou désir immortel qui se détermine soi-même incessamment, comme une loi vivante, à une suite réglée de manifestations extérieures, du fond de l’éternel amour[2], demandera-t-on encore au-delà un sujet absolument passif ? Que serait-ce qu’un sujet au-delà ou plutôt en-deçà de tout acte, sinon : ou la simple capacité d’être, la puissance nue de l’ame elle-même, pure conception réalisée, ou bien la matière où cette puissance se manifeste et se figure, et qui n’existe que par la forme qu’elle lui

  1. Amor complacentiœ, benevolentiœ, unionis.
  2. Leibnitz (édit. Erdmann), pag. 158 : « Animam, vel formam animæ analogam,… id est nisum quemdam seu vim agendi primitivam, quæ ipsa est lex insita, decreto divino impressa. » — Pag. 191 : « La nature de la substance consistant, à mon avis, dans cette tendance réglée de laquelle les phénomènes naissent par ordre. »