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PHILOSOPHIE CONTEMPORAINE.

ne saurait se suffire, et que, hors de la réalité substantielle dont on la sépare, elle n’est qu’une abstraction.

La volonté se manifeste à elle-même, nous l’avons vu, dans l’effort par lequel elle produit le mouvement. Mais l’effort suppose la résistance du mobile et la résistance un mouvement auquel elle s’oppose. Ce n’est donc point dans l’acte de l’effort que la volonté peut se voir commencer le mouvement. L’effort suppose, comme Maine de Biran l’avait reconnu lui-même, une tendance antérieure qui, en se développant, provoque la résistance ; c’est l’activité originelle, antérieure à l’effort, qui, réfléchie par la résistance, entre en possession de soi et se pose elle-même dans une action volontaire.

Élevons-nous de la volonté motrice à la volonté pure. Toute volonté en général suppose la conception de la possibilité d’un objet comme d’une fin à atteindre, d’un bien à réaliser ; or, la notion d’un objet, comme d’un bien, suppose dans le sujet qui le veut le sentiment qu’il est désirable. Pour que la volonté se détermine par l’idée abstraite de son objet, il faut donc que la présence réelle nous en ébranle déjà secrètement. Avant que le bien soit un motif, il est déjà dans l’ame, comme par une grace prévenante, un mobile, mais un mobile qui ne diffère point de l’ame même. Avant d’agir par la pensée, il agit par l’être et dans l’être, et c’est là jusqu’au bout ce qu’il y a de réel dans la volonté.


Leibnitz disait : l’action a sa source dans la disposition antécédente déjà inclinée à l’action ; la force active a pour fonds et substance la tendance ; c’est la tendance qui fait ce qu’il y a de réel dans les actes et mouvemens. — Nous croyons donner à ces propositions leur sens interne et vrai en disant : la volonté a sa source et sa substance dans le désir, et c’est le désir qui fait le réel de l’expérience même de la volonté.


Cependant le désir n’est pas encore le fonds de l’activité et par conséquent de la conscience ; lui-même il a un fonds plus reculé. L’objet qui le touche et qui le tire, étranger, extérieur à lui, n’irait jamais encore atteindre l’ame dans sa profondeur, et en remuer les puissances. Pour désirer, il faut que, sans le savoir, on se complaise par avance et se repose dans l’objet de son désir ; qu’on mette dans lui en quelque manière son bien propre et sa félicité ; qu’on se pressente en lui, que l’on s’y sente, au fond, déjà uni, et qu’on aspire à s’y