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Abstraire la cause, c’est, il faut bien le dire avec Maine de Biran, « dénaturer ou détruire toute la science de l’homme intérieur. » Comment donc ne pas repousser, comme lui, « l’application imprudente de la méthode de Bacon à la science des facultés ou des faits de l’ame humaine ? » comment ne pas y voir comme lui l’erreur la plus funeste à la philosophie ? Et alors que devient l’axiome fondamental de l’école qui se fait honneur du titre de fille de Bacon ? Ce n’est plus que le primum falsum qui doit l’entraîner dans sa chute.

C’était l’erreur de la philosophie du XVIIe siècle de vouloir s’assimiler aux mathématiques et se traiter par leur méthode. Ce fut l’erreur de l’école anglaise du XVIIIe siècle, et c’est surtout l’erreur de l’école écossaise d’assimiler la philosophie à la physique, et de la soumettre à toute force au joug de la méthode naturelle. La philosophie n’est ni une science fondée sur des définitions comme les mathématiques, ni comme la physique expérimentale une phénoménologie superficielle. C’est la science par excellence des causes et de l’esprit de toutes choses, parce que c’est avant tout la science de l’Esprit intérieur dans sa Causalité vivante. Elle a son point de vue à elle, le point de vue de la réflexion subjective indiqué par Descartes, mais qu’il avait laissé flottant dans la sphère mal définie de la pensée en général, mieux déterminé par Leibnitz, et maintenant établi, par un progrès original de la philosophie française, au centre de la vie spirituelle, dans l’expérience intime de l’activité volontaire.


Descartes cherchait quelque chose d’inébranlable (aliquid inconcussum) sur quoi pût être assis l’édifice de la philosophie. Cette base est trouvée.

Nous avons vu Kant poser le problème de la possibilité de la métaphysique : quelle est la raison, c’est-à-dire quel est le moyen terme des jugemens par lesquels l’intelligence conclut à priori des phénomènes à leurs principes ? Ce problème, l’école écossaise ne peut pas le résoudre, et elle en ignore l’existence ; Kant le résout par l’idéalisme. Pour lui, le moyen terme de ses jugemens synthétiques à priori, le moyen terme entre les phénomènes et les êtres, est une pure loi et forme de l’imagination, et l’être par conséquent une chose imaginaire.

Mais maintenant, la conscience a découvert, sous toutes les formes et les lois abstraites de la connaissance, un principe réel qui unit les deux mondes distincts des phénomènes et des êtres. Là, la raison trouvera non-seulement l’explication de ses conceptions, mais la justification de ses croyances.