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en fronçant de nouveau le sourcil d’un air terrible, ces gens-là avaient pris leurs précautions. — Le lieutenant ajouta d’un ton plaisant et sinistre à la fois quelques mots qui firent rire ses compagnons, et qu’on eût pu traduire par le nous sommes floués de la pièce française. — Par bonheur, reprit Barbone, comme dédommagement nous avons les femmes… et les hommes dont nous pourrons tirer une bonne rançon. — Oui, emmenons-les ! emmenons-les ! crièrent les bandits en masse. Aussitôt, joignant l’action à la parole, ils nous firent relever, arrachèrent nos compagnes du fond de la voiture où elles se blottissaient, et, malgré leur résistance et leurs prières, les entraînèrent comme nous dans le mâquis voisin ; puis ils nous firent gravir avec une célérité singulière les premiers escarpemens de la montagne. Il n’y avait ni à résister ni à reculer. Deux robustes coquins tenaient chacun de nous sous chaque bras et nous entraînaient en avant ; dans les endroits à pic un troisième poussait. Dix minutes suffiraient pour faire de la sorte l’ascension du cône du Vésuve. Nous marchions ainsi depuis trois quarts d’heure, et la route était déjà hors de la portée de nos voix, quand tout à coup les hommes qui soutenaient Mme B… crièrent halte ! La malheureuse femme, épuisée de fatigue et frappée de terreur, venait de s’évanouir. — Je suis médecin, dis-je au chef qui se trouvait près de moi, lâchez-moi, que je puisse la secourir. — Lâchez-le, — dit le chef. Aussitôt je fis respirer à Mme B… des sels que je portais sur moi ; je lui frottai les tempes avec une compresse de rhum ; elle revint presque aussitôt à elle, et, me reconnaissant : — Docteur, me dit-elle en anglais, vous êtes botaniste, cueillez-nous quelque plante vénéneuse que nous puissions prendre ma fille et moi et qui nous tue sur-le-champ.

En me disant ces paroles, sa voix était suppliante et décidée. J’aurais voulu la satisfaire que je n’aurais pu, car deux des bandits me reprirent chacun par un bras ; on fit asseoir les femmes sur des branches d’arbres entrelacées recouvertes des manteaux des brigands, qui se relayaient deux par deux pour porter chacune d’elles. De cette façon, notre course fut plus rapide encore qu’auparavant ; aussi, après une heure et demie de marche, nous trouvâmes-nous sur la crête de montagnes très élevées, du haut desquelles on découvrait à la fois la mer de Gaëte et les lacs de Fondi et de Lenola. D’énormes blocs de rochers, quelques chênes séculaires, et par places des taillis d’érables et de châtaigniers, couvraient les cimes de ces montagnes. Nous devions être alors à deux lieues au moins de la route où nous avions laissé notre voiture. Au moment où nous nous arrêtâmes, je fus