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PHILOSOPHIE CONTEMPORAINE.

pas prouvé que je sois nécessairement conduit, par ce changement de manière d’être, à reconnaître que ce qui cause la cessation de ma sensation de mouvement est un être étranger à mon moi ; j’ai pensé jadis que cela était ainsi, mais je crois que je m’étais trop avancé. Il faut donc, pour rendre cette découverte inévitable, appeler encore à notre aide une autre de nos facultés, et c’est la faculté de vouloir ; avec celle-là il ne nous manquera plus rien, car, lorsque je me meus, que je perçois une sensation, si mon mouvement s’arrête, si ma sensation cesse, mon désir subsistant toujours, je ne puis méconnaître que ce n’est pas là un effet de ma seule vertu sentante ; cela impliquerait contradiction, puisque ma vertu sentante veut, de toute l’énergie de sa puissance, la prolongation de la sensation qui cesse[1]. »

« En un mot, » dit Destutt de Tracy, en résumant ces développemens dans l’extrait raisonné de l’Idéologie, » quand un être organisé de manière à vouloir et à agir sent en lui une volonté et une action, et en même temps une résistance à cette action voulue et sentie, il est assuré de son existence et de l’existence de quelque chose qui n’est pas lui. Action voulue et sentie d’une part, et résistance de l’autre, voilà le lien entre notre moi et les autres êtres, entre les êtres sentans et les êtres sentis. »

Il est intéressant, ce nous semble, d’assister, dans ces descriptions naïves, à la marche de la réflexion psychologique, qui, de l’observation des sensations, de ce point de vue extérieur et superficiel, se replie pas à pas dans la profondeur du sujet.

Parvenu à ce point, de Tracy ne pouvait pas tarder à s’apercevoir que, si le monde extérieur ne se fait connaître pour tel que par sa résistance à la volonté, la volonté est la révélation naturelle du monde intérieur, et qu’à la connaissance de l’objet est intimement liée la conscience du sujet. Dans l’Idéologie, il admet encore qu’on peut arriver sans le mouvement volontaire et par la sensation seule à la connaissance de soi-même : « Tant que l’on ne fait que sentir des sensations, on n’est assuré que de sa propre existence. »

Dans un chapitre du même ouvrage (chap. XIII, p. 169), et dans l’extrait raisonné, il commence à remarquer que « nous confondons plus notre moi avec la faculté de vouloir qu’avec toute autre, puisque nous disons indifféremment : cela dépend de moi ou cela dépend de ma volonté. »

  1. Idéologie (édit.1827), pag. 86.