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sur lui et sur ce qui l’environne ; et la dernière, que, parmi les sensations que sa main éprouve, il y en ait une qui représente nécessairement des corps. — Par conséquent, ou le toucher ne nous donnera aucune connaissance des corps, ou parmi les sensations que nous lui devons, il y en aura une que nous n’apercevrons pas comme une manière d’être de nous-mêmes, mais plutôt comme la manière d’être d’un continu formé par la contiguité d’autres continus (c’est-à-dire d’une étendue). Il faut que nous soyons forcés à juger étendue cette sensation même. »

« Cette sensation, ajoute-t-il dans la deuxième édition du Traité des Sensations, c’est celle d’où nous concluons l’impénétrabilité des corps, la sensation de solidité ou de résistance. » — « Il n’en est donc pas de la sensation de solidité comme des sensations de son, de couleur et d’odeur, que l’ame qui ne connaît pas son corps aperçoit naturellement comme des modifications où elle se trouve et ne trouve qu’elle. Puisque le propre de cette sensation est de représenter à la fois deux choses qui s’excluent l’une hors de l’autre, l’ame n’apercevra pas la solidité comme une de ces modifications où elle ne trouve qu’elle-même ; elle l’apercevra nécessairement comme une modification où elle trouve deux choses qui s’excluent, et par conséquent elle l’apercevra dans ces deux choses. Voilà donc une sensation par laquelle l’ame passe d’elle hors d’elle, et on commence à comprendre comment elle découvrira des corps[1]. »

Mais la résistance où Condillac trouve la révélation d’un monde extérieur est celle de notre propre corps au mouvement involontaire et irréfléchi de la main ; on sent assez combien cette première analyse est grossière et imparfaite.

Le disciple et le successeur de Condillac va plus loin. Comment saurais-je, dit Destutt de Tracy dans l’Idéologie, que le mouvement de ma main vient à être suspendu ? Il faut bien que je connaisse ce mouvement, et, pour apprendre qu’il cesse d’être, que je sache ce qu’il est. Il faut une sensation spéciale qui me l’enseigne. — Ainsi, de la résistance extérieure où s’était arrêté Condillac, la réflexion recule déjà à un sentiment interne du mouvement.

Mais cela suffit-il ? Mon bras rencontre un corps qui l’arrête, ma sensation de mouvement cesse, je n’éprouve plus cette manière d’être. J’en suis averti, il est vrai ; mais ne sachant pas qu’il y a des corps, je ne sais encore rien de la cause de cet effet. « Du moins, il n’est

  1. Œuvres, tom. III, pag. 185.