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des principes qui la dépassent, mais ces principes sont la condition indispensable et en quelque sorte un élément intégrant de l’expérience elle-même[1]. De la sorte, l’intelligence humaine n’est plus un composé de deux facultés détachées et distinctes, mais, selon l’expression de Jacobi, un tout d’une seule pièce, ou du moins un ensemble organique. En second lieu, l’idéalisme transcendental ne laisse point sans explication ces principes, dont il fait la base et la loi de l’expérience.

Comment se fait-il, demande Kant, que dans certains jugemens (par exemple : tout évènement a une cause) l’intelligence ajoute à une donnée de l’expérience (l’évènement) quelque chose (la cause) qui n’y est pas logiquement contenu ? Quel est le principe inconnu (x) qui lui fait unir à la notion a, sans expérience préalable, une notion étrangère b ? Comment se peut-il, enfin, qu’elle prononce à priori des jugemens synthétiques ? C’est, selon lui, la question même de la possibilité de la métaphysique, et le sort de la philosophie y est attaché. Où il n’y a point de problème pour la philosophie écossaise, l’auteur de la philosophie critique a démêlé le problème fondamental de toute science rationnelle.

Des deux systèmes, lequel est le vrai ? Faut-il, avec l’école écossaise et les écoles qui en dérivent, reconnaître dans les principes nécessaires de la raison des croyances primitives, révélations inexplicables d’un instinct mystérieux, ou faut-il en chercher avec Kant la justification ?

Nous avons fait remarquer que, pour croire d’une chose qu’elle existe, il faut déjà savoir d’une manière générale ce qu’elle est. La croyance ne peut être antérieure à quelque science. Il suit de cela seul que, pour que la raison affirme l’existence de l’être invisible, en dehors et au-delà des phénomènes, il ne suffit pas que la connaissance d’un phénomène lui en fournisse l’occasion. Il faut qu’elle ait, en outre, de l’objet de sa croyance une connaissance quelconque. Cette connaissance, d’où la tirera-t-elle, s’il n’y a d’autre objet de connaissance directe que des phénomènes, et d’autre vue que la vue des faits ? Dans quelle réalité puiserait-elle donc l’idée sur laquelle porte sa foi, et de quelle intuition cette conception lui serait-elle venue ?

Dans le système de Kant, il y a un intermédiaire sur lequel l’in-

  1. M. Jouffroy a déjà signalé cette différence. (Préf. de la traduction de Reid, pag. CLVIII.)