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plus. Que peut-elle nous apprendre ? Ici seulement M. Cousin paraît avoir compté plus que les Écossais sur les ressources de l’induction ; mais qu’elle lui ait donné beaucoup davantage, c’est ce qu’il ne semble pas. Son système est vaste par les contours et les lignes générales, les vues élevées y abondent ; mais les propositions dogmatiques dans lesquelles il a résumé sa doctrine sur la nature de Dieu, de l’ame et de la matière, sur l’essence des êtres et sur leur liaison interne, n’excèdent point les limites des spéculations écossaises. On n’y trouve rien de semblable aux théories qui constituent le fonds de la moderne métaphysique allemande. Telle est du moins l’opinion de M. Schelling. Dans un jugement exprès sur la philosophie de M. Cousin, il dit : « La métaphysique de M. Cousin ne diffère point de celle qui a précédé Kant, en ce qu’elle repose uniquement sur le syllogisme, et surtout en ce qu’elle se contente du que sans se mettre en peine du comment (par exemple, que Dieu est la cause suprême du monde).

Il s’en faut donc beaucoup qu’elle soit une science des choses en elles-mêmes (real-philosophie), comme la philosophie à laquelle aspirent les systèmes modernes. Non-seulement il ne reconnaît pas de science objective sans une base psychologique, mais, à vrai dire, il n’en reconnaît aucune, et n’y arrive ni de cette manière ni d’une autre. Suivant lui, on atteint le faîte suprême de la métaphysique par la nécessité que la raison impose à la conscience de s’élever des causes limitées (moi et non moi), qui, en tant que limitées, ne sont pas causes, à la cause illimitée, à la cause proprement dite, à la vraie cause, qui donne à celles-là l’être, et qui les maintient. Tout se borne à ces généralités, qui ne promettent pas le moins du monde, comme chacun le voit, une science proprement dite[1]. »

Serait-ce seulement qu’en faisant usage de la méthode d’induction, on n’en aurait pas tiré encore tout ce qu’elle peut donner, et peut-on toujours fonder sur elle un espoir infini ? Sans doute les phénomènes desquels on veut s’élever aux êtres, nous représentent ces êtres, mais non pas en ce qui leur est propre et dans leur caractère spécifique. Sans doute les effets représentent la cause, et les modes la substance ; mais, bien loin d’en représenter le fonds, ils nous le dérobent. « Ces accidens relatifs, dit justement M. Peisse, loin de réaliser la notion absolue de l’objet, la détruisent ou plutôt l’empêchent. » La nature, a-t-on dit également avec un grand sens, la nature nous montre Dieu, mais en même temps elle nous le cache.

  1. Jugement de Schelling sur la Philosophie de M. Cousin, traduit dans la Revue germanique, octobre 1835