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PHILOSOPHIE CONTEMPORAINE.

êtres eux-mêmes dans leur réalité et leur essence absolues, mais seulement leurs accidens, leurs modes, leurs rapports, leurs limitations, leurs différences, leurs qualités. — Selon nous, toute notre science des êtres se réduit à savoir qu’ils sont ; — selon nos adversaires, nous pouvons savoir des êtres non-seulement qu’ils sont, mais ce qu’ils sont. »

Cette idée que nous ne pouvons rien savoir des êtres en eux mêmes, sinon qu’ils existent, c’est, ainsi que nous l’avons dit plus haut, la doctrine écossaise dans toute sa pureté, la doctrine de Reid et surtout de Stewart ; c’était aussi celle du P. Buffier. « L’homme, dit cet auteur, est forcé par sa raison d’admettre l’existence de quelque chose qu’il ne comprend pas ; » pour la nature divine, par exemple, « il comprend qu’elle est, et non pas quelle elle est. » Si l’on nous permettait d’employer ici les formules de la scholastique, nous dirions que, selon le P. Buffier, selon les Écossais, selon M. Hamilton et M. Peisse, nous ne savons des êtres que le quod et non le quid.

Nous remarquerons pourtant, et M. Peisse avouera assurément (encore avec le P. Buffier), qu’on ne peut connaître l’existence d’une chose sans avoir préalablement ou en même temps quelque connaissance de sa nature ou essence ; car, pour affirmer qu’un être existe, encore faut-il savoir ce que c’est qu’un être, et, si on affirme l’existence d’un être d’un certain genre, ce que c’est que ce genre. Seulement on peut soutenir que nous n’avons de l’essence des êtres qu’une notion générale et indéterminée, et de leurs rapports avec les phénomènes qu’une conception extérieure et logique.

Maintenant, jusqu’à quel point l’induction est-elle autorisée à remplir le vide de ces déterminations abstraites, en transportant au monde invisible où elles nous introduisent les caractères de ce monde visible dont il forme le fonds ? C’est là toute la question, il ne s’agit que de plus et de moins dans une connaissance inductive ; car, si l’on convient de ce principe que l’expérience ne nous montre que des phénomènes, et si on ajoute seulement que la raison (ou si l’on veut le sens commun) nous révèle à leur occasion que ces phénomènes supposent des substances et des causes, il faut avouer aussi que la raison ne nous dit là autre chose, sinon que ces substances et ces causes existent, et nullement ce qu’elles sont en elles-mêmes ; qu’elle nous en enseigne (tout au plus) l’existence et le rapport général avec les phénomènes, mais non pas la nature intime, et que par conséquent, enfin, l’induction seule pourrait nous en apprendre quelque chose de