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bannir de la philosophie l’objet même de toute philosophie digne de ce nom.

Les disciples français de l’école écossaise n’ont jamais souscrit à cet arrêt. M. Jouffroy, sans espérer, dit-il, de l’induction appliquée aux questions philosophiques un ensemble de résultats très étendu et qui ressemble en rien aux systèmes hardis de la plupart des métaphysiciens, M. Jouffroy professe cependant la conviction, « qu’elle peut aboutir à fixer d’une manière certaine un petit nombre de points principaux qui sont de la plus haute importance pour le bonheur et les espérances de l’humanité, et qui suffiraient seuls pour mériter à ces recherches la haute considération de tous les amis de la science et les relever de l’injuste mépris auquel l’assertion écossaise tend à les condamner. »

Pour M. Cousin, il refuse d’admettre aucune restriction à la science des causes et des substances, à la science des êtres en eux mêmes, ou, si l’on veut, à la métaphysique. Pour comprendre ce fait et pour l’apprécier, il faut, avec M. Hamilton et M. Cousin lui-même, en indiquer l’origine. Elle n’est plus dans l’école écossaise, elle est dans l’Allemagne.

Comme le fondateur de l’école écossaise, mais avec tout autrement de profondeur et de génie, Kant avait cru établir que l’intelligence humaine n’a pour objet que des phénomènes et leurs lois. Il avait démontré que, si nous concevons au-delà des apparences des choses qui en seraient comme le fonds, il est impossible de tirer de ces conceptions une science. Ajoutons que la démonstration de Kant ne repose en aucune façon, quoi qu’on en ait dit, sur ce fondement que les jugemens par lesquels l’intelligence humaine dépasse les données de l’expérience, n’étant rien en définitive que des jugemens humains, ne pourraient rien établir sur la réalité de leurs objets, et que la nécessité avec laquelle ils s’imposent à nous ne serait nullement garante de leur véracité absolue. La démonstration de Kant se fonde sur une critique des idées prétendues transcendantes, critique d’où il résulte, selon lui, qu’appliquées à des êtres purement intelligibles, elles seraient absolument insignifiantes, qu’elles n’ont de sens au contraire qu’appliquées aux objets de l’expérience comme des règles qui nous servent à les concevoir ; d’où il suit que ce sont uniquement des manières d’apercevoir les phénomènes, des formes (transcendentales) sous lesquelles les comprend l’intelligence humaine. Dès-lors le monde invisible des êtres n’était plus pour la