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PHILOSOPHIE CONTEMPORAINE.

de l’être pensant que ses manifestations phénoménales, et il croit fermement que « tout ce qu’on peut tenter d’en affirmer, lors de ces manifestations, est inévitablement frappé de contradiction et d’inintelligibilité. » Mais il n’attend plus rien de la méthode écossaise… Il désire plus et espère moins.

Outre l’expérience qui nous fait connaître les faits, et l’induction qui en obtient les lois, les philosophes écossais reconnaissent dans l’intelligence humaine des vérités qui ne viennent pas de cette source, ce sont des principes en quelque sorte innés, que nous trouvons en nous, et qui nous servent soit pour entendre l’expérience elle-même, soit pour la devancer, soit même pour en dépasser les limites. Les principes qui nous portent à dépasser entièrement l’expérience, ce sont ces jugemens primitifs, en vertu desquels nous supposons à tous les phénomènes des êtres qui en sont les principes, des causes et des substances, et nous nous élevons ainsi du monde visible à un monde invisible, qui en est le principe.

Il est permis de douter que cette seconde partie de la doctrine des Écossais leur appartienne en propre, comme la première. Reid est très redevable, ainsi que M. Peisse l’a remarqué, à un auteur peu connu, le père Buffier. « J’ai trouvé, dit Reid lui-même, plus de choses originales dans le Traité des premières vérités et de la source de nos jugemens, que dans la plupart des livres métaphysiques que j’ai lus. Les observations de Buffier me paraissent en général d’une parfaite justesse, et quant au petit nombre de celles que je ne saurais tout-à-fait approuver, elles sont au moins fort ingénieuses. » C’est vraisemblablement le philosophe français qui a fourni au fondateur de l’école écossaise presque toute sa théorie des vérités premières.

Quoi qu’il en soit, l’école écossaise proprement dite n’a jamais pensé que les principes innés à l’intelligence humaine, qui la poussent à dépasser le cercle de l’expérience, pussent la mener fort loin. Tout en reconnaissant que nous sommes autorisés à croire que par-delà les phénomènes et leurs lois, il y a des substances et des causes, les philosophes écossais pensent que nous ne pouvons rien savoir de ces êtres sinon ce que l’induction autorise à conclure du fait à la cause, du mode à la substance, et ils estiment que cela se réduit à très peu de chose. Stewart surtout insiste sur la nécessité de faire rentrer la philosophie, comme la physique, dans la sphère des questions de fait, et de lui interdire les questions métaphysiques sur la raison des faits et la nature des choses. C’est tout simplement, il faut l’avouer,