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ne le fait de ce but suprême auquel la science aspire, mais qui à ses yeux, malheureusement, « semblable à la fantastique Ithaque, recule sans cesse dans les profondeurs flottantes de l’horizon. » M. Hamilton dépasse son propre système de toute la portée de sa science et de sa dialectique. M. Peisse accepte à peine le joug de ce système, et le secoue avec une singulière impatience.

Ces esprits distingués, éminens, se trouvent donc à l’étroit dans leur propre doctrine. Leurs inclinations et leurs désirs dépassent à chaque instant le cercle où ils se croient nécessairement renfermés, et en même temps ils s’efforcent de se démontrer à eux-mêmes et de démontrer aux autres qu’il n’est pas possible de le franchir. Ils le démontrent par les principes, qui leur semblent être incontestables. Ils réussissent à faire voir de combien leur propre doctrine reste au-dessous de l’idéal de la philosophie, du besoin et de l’espoir qu’en conçoit l’ame humaine. Ils la convainquent de son impuissance, et c’est cela même qui est le plus fait pour achever sa ruine. La conséquence, mieux déduite que jamais, accuse le principe. Elle lui renvoie une lumière nouvelle ; elle fait qu’on en cherche, et peut-être qu’on en découvre le vice encore caché.


Lorsque Bacon entreprit de réformer les sciences, il réduisit d’abord toute science proprement dite à la connaissance de la nature, et, en même temps, il proclama comme un principe aussi nouveau que fécond, que la science consiste dans l’observation des faits, et dans l’induction qui, en rapprochant les semblables, en découvre les lois générales ; Newton fortifia le précepte de l’autorité de son exemple. La doctrine écossaise se fonde sur cette idée, qu’il faut étendre à la philosophie la théorie de Bacon, touchant les sciences en général et particulièrement la physique.

Tout le monde sait qu’on distingue les apparences des principes qui les font apparaître et dans lesquels elles résident, c’est-à-dire qu’on distingue d’un côté les phénomènes, de l’autre leurs causes et leurs substances. On sait aussi que la science consiste essentiellement à rendre raison des choses en les expliquant par leurs principes, et toujours l’on avait pensé que toutes les sciences supposent en définitive une science supérieure des premiers principes. C’est cette science qu’on appelait la philosophie. Selon les Écossais, la philosophie doit renoncer à cette prétention d’être la science des causes et des substances ; tout ce que nous pouvons connaître de la réalité se réduit à des faits ou phénomènes que nous observons, et aux conséquences