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LE DERNIER ABBÉ.

une porte vitrée donnant sur un corridor obscur ; un lit de sangle, une chaise, une table bancale et une vieille malle, pour tout mobilier. L’abbé est assis sur l’unique siége de paille, une jambe étendue sur la malle. Il appuie son menton sur sa poitrine et regarde tristement un vieux chat, infirme comme lui, qui dort sur ses genoux. Il n’ose pas remuer, de peur d’éveiller la pauvre bête, car il n’a pas un morceau de pain chez lui, et son estomac lui dit assez que son vieil ami a besoin de nourriture. Yan-Ostade aurait mis cela sur la toile d’une façon qui vous eût fait rire et vous eût attendri en même temps.

Cordier rêvait aux beaux jours de sa jeunesse, où il avait le couvert mis à plusieurs tables, et un appartement chez l’architecte du roi, où les chemises neuves tombaient dans ses tiroirs comme par magie, où le valet de chambre de M. Moreau lui apportait le chocolat et remplaçait l’habit percé au coude par un habit neuf, sans lui laisser le temps de désirer qu’on y fît une reprise. Hélas ! quelle différence ! ses vêtemens étaient en mauvais état et les dîners en ville n’étaient plus que des chimères. L’abbé soupirait en se rappelant ses amours et les tendres œillades de sa Phœbé. Au milieu de ces souvenirs déchirans, il passa la main sur le dos de son chat, dernier témoin de son bonheur passé. L’animal étendit ses membres et se traîna lentement jusqu’à l’écuelle où il trouvait ordinairement son repas du matin ; mais, comme cette écuelle était vide, il revint à son maître et le regarda d’un air piteux. L’abbé sentit alors son cœur se briser ; il eût donné le reste de sa triste vie pour un peu de mou de veau.

Cependant jamais dans les momens les plus désespérés Cordier ne s’était laissé abattre ; il appela donc à l’aide son esprit inventif et chercha un dernier stratagème pour amortir l’appétit de son compagnon d’infortune. Il attira sa table devant lui, prit une feuille de papier blanc qu’il se mit à mâcher en se donnant tous les airs d’une personne qui déjeune, et lorsqu’il vit que le chat observait ses mouvemens avec intérêt, il lui offrit une boulette de papier qui ressemblait assez à de la mie de pain. Les vivres étaient si rares dans la maison, que le chat mangea en toute confiance. Il n’eût jamais supposé d’ailleurs que son meilleur ami voulût le tromper. Cordier redoubla la dose et composa ainsi un repas factice qui lui assurait un jour de répit, non pas pour courir après la fortune, puisqu’il n’avait plus de jambes, mais pour attendre qu’elle daignât venir le chercher.

— Ô ma Phœbé ! s’écria-t-il, lorsque j’étais votre Endymion, et que vous me brodiez de vos divines mains une veste en soie noire,