Page:Revue des Deux Mondes - 1840 - tome 24.djvu/396

Cette page a été validée par deux contributeurs.
392
REVUE DES DEUX MONDES.

vrer. Tout cela se termina par des rires ; mais notre abbé en demeura triste pendant quinze jours, et ne cessait de répéter :

— Il est écrit là-haut que je ne pourrai jamais organiser une pompe funèbre !

VII.

À la gravité des évènemens qu’on vient de lire, on a compris, sans qu’il soit besoin de consulter les dates, que l’abbé Cordier avait passé l’âge de quarante ans. La vie de l’homme n’est pas encore assez courte pour qu’il n’ait pas le temps de voir périr bien des choses. Cette Société des Neuf Sœurs, qui lui donnait son pain et le mettait à même d’exercer les belles facultés qu’il tenait de la nature, Cordier la vit s’éteindre en moins de rien ; le 18 brumaire en amena la fin. Notre abbé retomba dans le néant. Par quelle chétive destinée il fut cahoté dans son âge mûr, nous l’ignorons ; mais puisqu’il arriva jusqu’à la vieillesse, on peut le citer comme exemple de cette vérité certaine, qu’un homme courageux ne meurt jamais de faim.

Au milieu des fracas et des gloires de l’empire, l’abbé compta ses soixante ans. La solitude était venue s’établir autour de lui, et voyez comme le sort est injuste et cruel : lui qui avait un si grand besoin de la santé, qui était la sobriété même, il était incommodé de la goutte ! Il passait de sombres jours dans un taudis, ne recevait de soins que d’une portière peu attentive, et cependant ce cœur simple et bon n’osait pas adresser au ciel une plainte ni un murmure. La plupart de ses amis étaient morts ; les autres l’avaient oublié. M. Berton avait quitté l’Opéra. M. Moreau habitait la Russie. M. Vassé s’était retiré à Nice, Mlle Doligny avait disparu comme un brillant météore ; elle avait gagné un mal de poitrine un soir à la fin d’une représentation. Les médecins l’avaient envoyée prendre des eaux ; mais elle ne s’était qu’à moitié rétablie. Elle avait acheté une maison en province avec ses économies. Les almanachs n’ayant plus son nom dans leur catalogue ne firent plus son éloge. D’autres beautés lui succédèrent. Sa place fut assez bien occupée pour qu’on n’eût pas le loisir de la regretter. Elle fit d’ailleurs comme Cordier et beaucoup d’autres : elle devint vieille.

Combien il nous en coûte de montrer au lecteur notre excellent abbé tout-à-fait malheureux ! Il le faut pourtant. Ce ne sera du moins qu’un tableau devant lequel nous ne resterons qu’un moment. Qu’on se représente une mansarde sans papier, située dans la rue Lenoir ;