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LE DERNIER ABBÉ.

maîtresse l’avait blessé légèrement d’un coup de poignard à l’épaule. Il ôta son habit et montra la cicatrice.

— La maudite créature ! répétait l’abbé.

Nous ne saurions dire s’il la maudissait pour sa méchanceté ou pour avoir manqué son coup. Cordier amusait le tapis à dessein pour laisser le temps s’écouler. Neuf heures sonnèrent, et un roulement de voitures qui entraient dans la cour lui apprit qu’on arrivait pour la séance.

— Allons, mon cher monsieur de Lalande, voici vos confrères qui commencent à entrer au salon. Un peu de complaisance ; restez ici jusqu’à midi seulement.

— Non pas, s’il vous plaît ; je n’entends pas cela.

— Vous êtes donc inébranlable ?

— Absolument inébranlable.

— Eh bien ! j’en suis fâché, mais il faut que ma cérémonie s’accomplisse.

Cordier s’élança d’un bond hors du cabinet ; il ferma les deux portes à double tour, mit les clés dans sa poche, et, se composant un air affligé, il se rendit à la grand’salle, où la moitié des membres de la société étaient déjà rangés en silence. Bientôt le salon fut rempli. Le président ouvrit la séance, et l’orateur monta au fauteuil, tenant à sa main le discours à la mémoire du défunt. Il commença en ces termes :

« Messieurs, c’est avec un profond sentiment de douleur et de regrets que nous allons vous entretenir d’un membre fameux de cette société dont le ciel vient de nous priver. Jérôme de Lalande n’était pas seulement recommandable par son génie ; c’était encore le modèle des vertus civiques, l’ennemi des tyrans et l’un des défenseurs zélés et intelligens de la patrie. Le fer d’un assassin l’a enlevé à ses amis, à sa famille, à ses travaux… »

Dans ce moment, la porte s’ouvrit avec fracas, et M. de Lalande parut.

— Ah ! corbleu ! s’écria-t-il, c’est trop fort ! Puisque vous voulez absolument que je sois mort, tuez-moi donc avant de me mettre en terre.

Il va sans dire que la séance fut interrompue. On se pressa en tumulte autour de M. de Lalande, qui raconta ses aventures et le tour que Cordier venait de lui jouer. L’astronome avait ouvert les fenêtres et appelé à son aide les gens de la maison, qui étaient venus le déli-