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important travail, lorsqu’on l’avertit qu’un citoyen, membre de la société, demandait à lui parler. Il se rendit au secrétariat, et qui trouva-t-il, paisiblement assis devant la cheminée ? Jérôme de Lalande en personne, et, ce qui était pire, en bonne santé !

— Quoi ! s’écria naïvement Cordier, vous n’êtes donc pas mort ?

— Non, assurément, répondit Lalande ; mais ce n’est pas votre faute, à ce qu’il paraît. Vous m’enterriez ce matin, si je n’étais arrivé.

L’abbé tomba éperdu et suffoqué dans son fauteuil en poussant des soupirs à fendre les murs.

— Remettez-vous, mon bon Cordier, reprit M. de Lalande. Je suis fier de voir combien vous me pleuriez sincèrement. Cette émotion est également honorable pour nous deux.

— Ah ! disait l’abbé tout à sa cérémonie dérangée, quel affreux contre-temps ! Est-il un malheur comparable au mien ? Moi qui attends depuis trois ans une occasion de faire un enterrement ! Elle se présente enfin, et il se trouve que le mort sort du tombeau à l’instant même où j’allais accomplir mon plus bel ouvrage !

— Voilà donc, dit l’astronome, comme vous vous réjouissez de me savoir vivant !

— Hélas ! des préparatifs magnifiques ! des effets merveilleux ! j’avais tout prévu pour que le spectacle fût imposant ! Je ne m’en consolerai jamais ! Que faire à présent ?

— Il faut envoyer bien vite prévenir au moins le comité que je suis en vie et que je ne veux point qu’on me pleure.

Cordier se jeta aux genoux de Jérôme de Lalande.

— Mon cher monsieur, lui dit-il, passez encore pour mort jusqu’à ce soir. Laissez la cérémonie s’achever, je vous en supplie. Je vous cacherai dans un coin, d’où vous regarderez cette pompe superbe ; vous entendrez votre éloge prononcé par M. de Laplace ; vous verrez combien vos confrères vous aiment et vous regrettent. N’est-ce pas un plaisir bien flatteur que de juger par ses yeux des souvenirs qu’on laissera un jour sur la terre ?

— Je me moque de vos cérémonies. Je suis vivant, et je ne puis pas me faire enterrer pour vous être agréable. Demain je serais la fable de tout Paris.

— Au contraire, monsieur ; plus long-temps on vous croira mort, et plus on aura de joie de vous retrouver en vie. Mais ces journaux ont donc menti impudemment ?

M. de Lalande, qui était fort laid et plein de vanité, raconta que sa