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LE DERNIER ABBÉ.

Sœurs, afin qu’il pût réaliser les magnificences funèbres dont son imagination était obsédée.

Un matin, tous les journaux de Paris publièrent la nouvelle suivante :


« Le célèbre astronome de Lalande vient d’être assassiné à Metz par une femme. On assure que la jalousie a poussé cette malheureuse à commettre son crime. La patrie et les sciences ont fait en Jérôme de Lalande une perte irréparable, dont les bons citoyens, etc. »


Cordier ne put retenir un cri de joie ; le célèbre astronome était de la Société des Neuf Sœurs. On ne pouvait manquer de rendre, même de loin, les derniers honneurs à son mérite et à son patriotisme. L’abbé courut chez les membres du comité, se fit donner carte blanche pour un catafalque, et obtint de M. de Laplace la promesse de prononcer un éloge du défunt. Des circulaires de convocation furent envoyées tout de suite pour l’assemblée du lendemain, et notre abbé passa le plus heureux jour de sa vie à préparer la cérémonie qu’il rêvait depuis si long-temps.

Comme le culte catholique était aboli dans ce temps-là et les églises fermées, les pompes s’exécutaient seulement au domicile des morts et au cimetière. Cordier fit dresser un superbe catafalque. Il ferma les fenêtres, posa des bougies partout, dressa des tentures noires et convertit le salon du club en manière de chapelle ardente. Sur un drap mortuaire couvert de lames d’argent était déposée une couronne de feuillage au-dessus de cette inscription :


À JÉRÔME DE LALANDE.
IMMORTEL COMME SAVANT,
ASTRONOME
ET CITOYEN VERTUEUX.
LA SOCIÉTÉ DES NEUF SŒURS.


Autour du catafalque étaient rangées les banquettes. Sur un siége élevé devait se placer l’orateur qui prononcerait le discours à la mémoire du grand homme que la patrie venait de perdre. L’abbé employa la nuit entière en préparatifs, et au point du jour, tout étant fini, sa joie intérieure fut encore augmentée par l’air solennel dont il la déguisa pour cette triste circonstance.

Huit heures venaient de sonner, et le club était convoqué pour neuf heures. Cordier donnait avec orgueil le dernier regard à son