Page:Revue des Deux Mondes - 1840 - tome 24.djvu/379

Cette page a été validée par deux contributeurs.
375
LE DERNIER ABBÉ.

ligny pour elle-même et non pour la gloire qu’il en retirait. Elle lui eût plu aussi bien si elle n’eût été qu’une simple bergère. C’était une chose plaisante que de voir cet homme modeste, et qui n’avait pas seulement deux culottes, passer devant la cour brillante de la jeune actrice, recueillir les douces œillades à la barbe des marquis les plus hauts sur talons, et conduire à son bras cette fille si recherchée. On en riait tant qu’on pouvait, mais on enrageait sous cape. Mlle Doligny eut vent de quelques moqueries sur la pauvreté de son Endymion. Elle voulait donner à Cordier un habit magnifique en velours cramoisi et lui faire quitter le petit collet ; mais il eut le bon sens de n’y pas consentir. Tout ce que l’ingénue put obtenir de lui, fut qu’il porterait, pour l’amour d’elle, une veste de soie noire, qu’elle broda de sa main. Le jour que sa maîtresse lui envoya cette veste, l’abbé trouva dans la poche une bourse bien garnie. Les scrupules le prirent à la gorge à cette découverte. Il courut chez sa belle, et, ne sachant comment lui dire ce qu’il avait dans l’esprit, il la regarda timidement en frappant sur sa poche de manière à faire sonner les pièces d’or.

— Je vois à votre mine ce que vous pensez, lui dit-on. Si j’étais une princesse, vous n’auriez pas de ces sottes délicatesses. Eh bien ! sachez, monsieur, que je veux être pour vous au-dessus de la plus fière princesse du monde. Si vous avez le cœur assez mal placé pour être honteux d’accepter quelque chose de moi, jetez cela par la fenêtre.

— Ne vous fâchez point, dit l’abbé ; j’ai le cœur où il faut l’avoir, et je vous remercie de toute mon ame.

M. Moreau se mit à rire en apprenant les triomphes de son ami Cordier.

— Prenez garde à vous, lui disait-il, mon cher Endymion. La lune est changeante ; elle ne vous aimera que le temps d’un quartier.

M. Berton lui accordait davantage.

— Cela ira, disait-il, jusqu’à la nouvelle lune de vingt-huit jours.

Mais quand le second mois fut commencé, il fallut trouver d’autres railleries, et il n’en restait plus qu’une seule dans le calendrier.

— Quand arrivera l’éclipse ? demandaient les mauvais plaisans.

— Quand le soleil me voudra jouer un mauvais tour, répondait l’abbé. Je suis préparé à tout évènement, comme le sage.

La tendresse de Mlle Doligny pour son petit abbé se soutenait malgré les plaisanteries. Elle alla tout doucement jusqu’à l’accomplissement de l’année entière, ce qui nous paraît être la bonne mesure pour une ingénue.