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nelle à l’huile, ce qui était entre eux un éternel sujet de querelles et de plaisanteries. Un jour, au moment où ils allaient manger leur plat favori dont on avait préparé la moitié d’une façon et l’autre moitié de l’autre manière pour satisfaire tous les goûts, M. Dubos tombe subitement frappé d’apoplexie. Fontenelle se baisse, prend la main de son ami, lui tâte le pouls et reconnaît qu’il est mort. Aussitôt il ouvre la porte et crie au domestique : Préparez toutes les asperges à l’huile !

— Je connaissais ce mot, dit le mondor.

— Moi, dit le militaire, je ne le connaissais pas, mais je n’y trouve rien de plaisant.

L’abbé comprit qu’ils étaient jaloux tous deux, et inventa des histoires de son cru pour voir si elles seraient connues du mondor, et si elles auraient l’approbation de l’officier. En sortant de table, il s’aperçut que ses deux rivaux le toisaient avec des airs de dépit. Chacun d’eux tâchait de prendre Mlle Doligny à part pour lui glisser des mots à l’oreille.

— Vous pouvez vous expliquer tout haut, messieurs, dit l’actrice. Je ne suis pas une marquise, et je ne fais rien en cachette. Il faut, dites-vous, que je me décide pour quelqu’un ? Il n’est pas bien de n’avoir pas encore d’amant ? Mon choix est fixé. Monsieur l’abbé Cordier est mon affaire. J’ai lu dans ses yeux qu’il est amoureux de moi, et je vous déclare qu’il me plaît beaucoup.

L’abbé tomba sur ses genoux et saisit avec transport la main qu’on lui offrait.

— Ah ! madame, dit-il d’un air pénétré, voici la première fois qu’une aussi grande joie entre dans mon cœur. Jamais je ne perdrai le souvenir de cet instant, et je défie le ciel de me donner une peine qui l’efface de ma mémoire.

Cette parole était imprudente, comme on le verra par la suite, mais c’est ainsi que parlent les gens amoureux, et d’ailleurs Mlle Doligny n’ayant à cette heure que de tendres sentimens dans le cœur, répondit qu’elle était charmée de l’amour qu’elle inspirait. Le mondor et le militaire enfoncèrent leurs chapeaux sur leurs oreilles et s’en allèrent en frappant les portes ; mais on ne s’aperçut pas de leur sortie. Notre abbé devint l’Endymion de la Phœbé. Le nom lui en resta, et dans les coulisses on l’appela l’abbé Endymion tant que durèrent ses amours.

Le bon Cordier n’était pas de ces gens vaniteux qui mettent la plus forte part de leurs plaisirs dans l’ostentation. Il aimait Mlle  Do-