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LE DERNIER ABBÉ.

— Le voici, monsieur l’abbé, dit le domestique d’un air significatif.

Cordier passa une manche avec empressement et resta immobile de surprise.

— Mais c’est un habit neuf ! s’écria-t-il.

— Oui, monsieur l’abbé.

— Et d’où vient cela ?

— Je ne sais pas, monsieur. Mon maître m’a dit que c’était à vous, et je vous l’apporte.

— Allons ! Il vient à propos.

L’abbé descendit les escaliers en voltigeant sur la pointe de ses souliers, et une voix intérieure lui disait : Tu es un heureux mortel.

Le hasard avait trop fait pour Cordier depuis vingt-quatre heures pour qu’il ne s’amusât pas un peu à lui rabattre de sa joie. En arrivant chez Mlle Doligny, le cœur enflé par l’espoir, l’abbé vit, en traversant la salle à manger, qu’on avait dressé une table de quatre couverts. Deux étrangers attendaient au salon ; l’un était un mondor, et l’autre un officier des gardes.

— Adieu le tête-à-tête ! pensa l’abbé. Comment diable aussi ai-je pu me mettre dans l’esprit que cette créature divine avait jeté les yeux sur moi ?

L’espérance s’envola ; mais Cordier n’en garda pas moins une contenance ferme, et sentit qu’il fallait montrer sa bonne humeur des dimanches. L’ingénue parut bientôt dans une toilette fort jolie. Elle remercia le mondor d’un collier de perles dont il venait de lui faire présent, et donna la main au militaire en l’appelant son cousin. Cordier avait la mort dans l’ame. Cependant on se mit à table ; le courage lui revint lorsqu’il vit que sa présence donnait aussi de la peine à ses rivaux, et que, de plus, ils n’avaient point d’esprit. Il se mit en frais, se ranima peu à peu et conta des histoires.

— Ma foi, messieurs, dit Mlle Doligny aux deux autres convives, vous êtes tristes comme des capucins.

On parla de la pièce d’Endymion tout en mangeant des asperges.

— L’abbé, reprit l’ingénue, racontez-moi quelques bons mots de Fontenelle. Je les aime fort, et il en a beaucoup dit.

— Je n’en sais qu’un, répondit Cordier ; mais il montre assez combien le personnage était sensible. Fontenelle avait un vieil ami d’enfance qui s’appelait l’abbé Dubos, et avec lequel il déjeunait tous les matins. Ils aimaient tous deux les asperges et en mangeaient tant que la saison en durait ; mais Dubos les voulait à la sauce et Fonte-